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Libération
Le temps des villes: tribune

Artistes, architectes, urbanistes, écologues, osez la post-disciplinarité !

Pour être à la hauteur des défis écologiques, il est essentiel de régénérer nos imaginaires et nos pratiques. La «Floating University Berlin» nous en donne un exemple.

A la «Floating University» de Berlin. (Floating University)
Par
Un collectif de chercheurs, urbanistes, architectes, responsables associatifs et intellectuels
Publié le 08/11/2023 à 16h44

Dans la perspective de la 44e rencontre nationale des agences d’urbanisme, intitulée «No cultures, No Futures», et du forum organisé en décembre par le ministère de la Transition écologique, qui portera sur la culture comme levier de changement, nous nous réjouissons de cet engouement pour les approches transdisciplinaires. Toutefois, l’écologie, les arts et l’urbanisme demeurent encore majoritairement organisés, enseignés et administrés en silos.

Cette tribune défend, au travers d’un exemple emblématique, la systématisation d’une méthodologie de projet transdisciplinaire pour permettre aux acteurs de l’urbanisme, de l’architecture et de la culture d’être à la hauteur des défis écologiques. Elle interpelle les ministères en charge de la Culture et de la Transition écologique sur le besoin de mettre en place les dispositifs de soutien nécessaires au développement des démarches situées au croisement de l’écologie, des arts et de l’urbanisme.

En 2018, le collectif Raumlaborberlin (un groupe de neuf architectes associés, installé à Berlin) ouvre la Floating University Berlin (A Natureculture Learning Site). Réactivant la promesse du Bauhaus cent ans après sa naissance, ce projet hors norme nous invite à régénérer nos imaginaires et nos pratiques pour répondre aux défis du XXIe siècle.

Expérimentation, création, apprentissage

Cette université d’un nouveau genre s’est implantée dans le bassin d’orage de l’aéroport de Tempelhof à Berlin. En investissant cette infrastructure abandonnée et interdite au public, des architectes, artistes, écologues, chercheurs, enseignants, étudiants, acteurs des mondes associatifs et de la société civile en ont fait un commun ouvert sur le quartier et ses habitants. La prise en charge collective de cette friche polluée, où la nature a repris ses droits, devient ainsi le lieu et l’occasion de nous questionner sur notre façon de penser et de faire la ville : une université post-disciplinaire pour le monde de demain.

Depuis 2018, Floating University fonctionne comme un lieu d’expérimentation, de création, d’apprentissage et d’échange pour imaginer collectivement de nouvelles façons de se former aux défis de notre temps – ceux d’un monde en mutation et face auxquels nos modèles, nos savoirs, nos enseignements, nos champs disciplinaires et nos pratiques hérités des Modernes ont montré leurs limites. Ce monde est aussi en proie à des guerres et à des terreurs qui partout nous inquiètent et nous confortent dans l’idée selon laquelle les arts et la culture sont des protections contre la barbarie.

Après cinq ans d’expérimentations et de résultats concrets, Floating University bénéficie aujourd’hui d’une reconnaissance internationale : Lion d’or à la Biennale d’architecture de Venise en 2021, prix 2023 du New European Bauhaus.

Approches hybrides

Cet exemple doit pouvoir inspirer le renouvellement de nos méthodologies afin de relever les défis urbains, écologiques et culturels. Floating University ne détient pas le monopole de cette démarche. De nombreuses initiatives et projets expérimentaux, situés et collaboratifs, au croisement de l’écologie, des arts et de l’urbanisme existent en France et transforment nos façons de penser et d’agir dans la ville et les territoires. Mais ces projets transversaux, originaux, répondant aux enjeux locaux, opèrent souvent à la marge d’un système qui peine à les valoriser et à les soutenir. Ces approches hybrides nous sont pourtant essentielles dans la construction collective d’une nouvelle culture des mutations.

Pour changer d’échelle et généraliser les soutiens à ces prototypes d’adaptabilité créative, nous proposons trois mesures aux ministères en charge de la Culture, de l’Urbanisme et de l’Ecologie : recenser et valoriser les pratiques et initiatives œuvrant aux croisements de l’écologie, des arts et de l’urbanisme ; systématiser dans les cursus d’enseignement les pratiques expérimentales, les enseignements hors les murs et les initiatives trans-disciplinaires où cohabitent les approches écologiques, artistiques et urbanistiques ; et enfin soutenir un art appliqué et impliqué dans la transition écologique des villes et territoires, en créant des cadres (telles la Clause culture actuellement en discussion avec les ministères de la Culture et de la Transition écologique), des aides et des accompagnements spécifiques aux démarches situées à l’intersection de l’écologie, de l’art et de l’urbanisme.

Cette tribune a été corédigée par Paul Ardenne, écrivain, historien de l’art et de la culture ; Nathalie Blanc, directrice de recherche au CNRS, directrice du Centre des politiques de la Terre ; Julien Choppin, architecte, fondateur associé de l’agence Encore Heureux, coauteur de l’exposition «Matière grise» au pavillon de l’Arsenal et de «Lieux infinis» à la Biennale de Venise et Stefan Shankland ; artiste, maître de conférences à l’Ensa Nantes, initiateur de la démarche HQAC.
Signataires : Florian Bercault, président de la commission nationale EcoQuartier ; Maud Le Floc’h, directrice du Polau ; Michel Lussault, géographe, professeur à l’ENS de Lyon, ancien directeur de l’Ecole urbaine de Lyon ; François-Laurent Touzain, pésident du département Ville Environnement Transports de l’Ecole nationale des ponts et chaussées… Liste complète en suivant ce lien.