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Libération
Films de montagne (2/2)

Au Festival international d’Autrans, la chèvre, le mouton et le loup à l’honneur

A l'heure de l'aventuredossier
«Yukon, un rêve blanc», «Jeunes Bergers»… Retour sur trois documentaires projetés lors de la dernière édition du Festival international du film de montagne d’Autrans.
«Jeunes Bergers» de Yohan Guignard.
publié le 18 décembre 2022 à 0h59

La 39e édition du Festival international du film de montagne d’Autrans (Vercors) s’est achevée le 4 décembre au soir. Un événement où se mêlent films et documentaires, livres mais aussi débats, expositions, workshops (et grosse fête le soir) réunissant chaque année les acteurs du secteur et le grand public. Depuis deux ans, Libération y participe directement en étant jury (1) dans deux disciplines de documentaires (palmarès à retrouver sur le site du festival). Retour sur quelques-uns des films projetés (première partie à retrouver ici).

«Yukon, un rêve blanc»

de Jeremy Villet

C’est un documentaire plein de poésie… Un type qui guette des chèvres et d’autres animaux dans le Yukon blanc ; au Canada… Il attend l’hiver, période où elles ont une pelisse magnifique et magique… Mais il faut mériter son cliché. Il doit grimper, bivouaquer, attendre, ne pas prendre trop de photos. Ce film a été primé au prestigieux concours du «Wild life». Jeremy Villet, le réalisateur, parcourt seul les déserts blancs de l’hémisphère nord avec sa «pulka» (traîneau) et son téléobjectif, en quête d’animaux vivant dans le froid.

«Le principe de la photo animalière, explique le jeune photographe, c’est de disparaître quand on la prend, ancrer un souvenir dans notre tête.» Les chèvres vivent dans un endroit où le ciel touche la terre. La neige éteint vraiment tout son. Il ne subsiste plus aucun bruit. Le fait qu’il n’y ait que du noir et du blanc participe au silence. Ces «biquettes» vivent dans des endroits accidentés. Les cornes du mouflon ressemblent, elles, à une peinture rupestre. Villet est habillé comme un chasseur alpin, mais au cache-cache, ce sont souvent les chèvres qui gagnent. «C’est incroyable de les voir, elles sont comme un dessin au fusain. Elles se confondent avec la neige au premier plan. Pour moi, une belle photo c’est quand il n’y a rien à retirer.» Ou de l’art d’utiliser le blanc de la neige comme un peintre utiliserait sa toile vierge.

«Jeunes Bergers»

de Yohan Guignard

Avec Jeunes Bergers, le jury Médiadocs a récompensé un film pétri d’humanité. En suivant trois parcours différents. Ousmane, un Malien qui, malgré son professionnalisme et son parcours compliqué, n’a toujours pas obtenu de titre de séjour en France – dire que c’est honteux serait un doux euphémisme… Agathe, jeune femme passée du tourbillon de la culture à la course derrière ses brebis. Et enfin, Lucas, un comédien qui a connu des difficultés pour exercer son métier en raison du Covid, et a trouvé un nouvel engagement qui l’enthousiasme fort.

Le réalisateur Yohan Guignard nous fait entrer avec brio dans un univers à mille lieues de nos préoccupations d’urbains. On apprécie le travail des chiens qui rassemblent le troupeau. On s’inquiète avec eux de savoir si les bergers ont perdu des bêtes. On regarde avec crainte les vautours tournoyer au-dessus. Compter les moutons, c’est ce qu’on nous apprenait à faire le soir pour nous endormir. Conter les brebis, c’est ce qu’a réussi le réalisateur avec ce documentaire qui fait mouche.

«Notre part sauvage»

de Jean-Pierre Valentin

Le réalisateur Jean-Pierre Valentin réussit ici un pari audacieux. Ne pas transformer le débat entre défenseurs et pourfendeurs du loup en caricature… Ce qui n’est pas une mince affaire. On aura ainsi la chance de voir des naturalistes au bord des larmes devant les brebis en lambeaux, des bergers expliquer que oui, le loup a bien sa place, même s’il croque leurs bêtes. «Il reste à faire un film sur le lynx… Et aussi l’ours», a lancé Jean-Pierre Valentin à une festivalière lors du festival d’Autrans. De son côté, la chercheuse et philosophe Virginie Maris, dissertant sur la part sauvage du monde, a mis en abyme le propos du réalisateur en expliquant que «le loup agit comme un miroir de ce que nous sommes, de ce que nous avons de violence…». Tout en rappelant opportunément que les tirs de «prélèvement» – le choix des mots en dit aussi long sur la chose – «déstructurent» les meutes. Et un éleveur de conclure : «Il s’agit d’un défi que nous pose le loup pour renégocier nos alliances et notre rapport au monde.»

(1) François Carrel pour la compétition films documentaires, Fabrice Drouzy (en 2021) et Didier Arnaud cette année pour le jury Médiadocs.