Le site est extraordinaire : au cœur des Hautes-Alpes, la communauté de communes du Pays des Ecrins s’étend de la petite ville de L’Argentière-la-Bessée, en haute vallée de la Durance, à quelques-uns des plus beaux sommets du parc national des Ecrins et de leurs glaciers. Avec son patrimoine naturel spectaculaire, mondialement connu, ses villages préservés, ses stations de ski à taille humaine et ses hautes vallées sauvages réputées pour la randonnée, l’escalade et l’alpinisme, le territoire aligne des atouts remarquables. Son équilibre économique et social, largement dépendant du tourisme, est pourtant sérieusement menacé par le réchauffement climatique. A un rythme toujours plus rapide ces dernières années, sous les yeux effarés de ses 6 500 habitants, les glaciers fondent, des versants de montagne s’effondrent, coupant l’accès aux refuges, les torrents débordent et l’enneigement s’amenuise…
«Libérer la parole»
Depuis 2021, au sein du projet Imagine, une équipe de scientifiques se concentre sur ce territoire fragilisé pour observer et analyser son évolution et aider la population à se projeter dans un futur qui reste incertain. Ces huit chercheurs de pointe en géographie humaine et sociale, urbanisme, sociologie ou science des aléas, parmi lesquels Vincent Vlès, Cécilia Claeys ou encore Mikaël Chambru, sont coordonnés par Aurélie Arnaud (géographie et aménagement, de l’Université Aix-Marseille) et épaulés par des ingénieurs d’étude.
Enquêtes, campagne d’entretiens avec des habitants de tous horizons (socioprofessionnels, retraités, associatifs, élus, etc.), travail avec les écoliers, ateliers de restitution et de coconstruction, tournage de films... L’équipe fait feu de tout bois pour réunir les acteurs locaux, «nouer des liens de confiance» et «libérer la parole dans un climat serein, afin d’imaginer une trajectoire projetant vers un territoire plus ou moins consensuel», résume Aurélie Arnaud. Alors qu’une partie des acteurs économiques et décideurs restent concentrés sur la sauvegarde du modèle actuel, le collectif Imagine construit patiemment un «nouveau récit territorial».
«Le débat s’accélère»
Il a tout d’abord mené un gros travail sur l’histoire de la vallée depuis 1900, marquée par des ruptures économiques et des transformations sociales profondes, sous la forme d’une frise chronosystémique : «On ne peut travailler sur le futur que si l’on est d’accord sur le passé», rappelle la géographe. Elle souligne la prise de conscience essentielle obtenue : «Le territoire a des vulnérabilités mais aussi des ressources : il a su rebondir déjà face à de graves crises !» Une fois menée l’identification de ces ressources (la richesse humaine locale et ses forces vives, l’environnement d’exception, l’eau, les activités de pleine nature, l’agriculture), le collectif a pu ébaucher ses premières projections. Elles sont dominées par «une grande préoccupation de l’environnement local» tout autant que par «la nécessité de ménager le tourisme existant très menacé», résume Aurélie Arnaud. Le collectif converge sur des solutions douces, «non caricaturales», qui ne soient «ni la poursuite de l’aménagement à tout prix, ni la rupture».
Reste désormais à traduire, véhiculer et défendre cette vision, en particulier en direction des décideurs et techniciens trop souvent submergés par les tâches à court terme, mais aussi au sein de la population : «le débat s’accélère», relève Aurélie Arnaud. Les chercheurs jouent d’évidence un rôle moteur dans le processus.