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Troubles

Au service des «dys», une littérature jeunesse entre création et adaptation

Le handicap au quotidiendossier
Tentant de répondre aux besoins spécifiques des enfants atteints de troubles limitant leurs capacités d’apprentissage et de lecture, auteurs et éditeurs développent des solutions innovantes avec le soutien de professionnels. Tour de piste.
Les rayons spécifiques à la littérature jeunesse «dys» se multiplient en librairie comme en bibliothèque. (Antoine Boureau/Hans Lucas)
publié le 22 novembre 2024 à 19h42

Elle permet l’évasion, favorise la connaissance du monde, des autres, de soi-même… Rien ne remplace la lecture dès la plus tendre enfance. Mais ce n’est pas une mince affaire : «Un jeune sur cinq ne lit jamais dans le cadre des loisirs», indique un rapport du Centre national du livre. Et accéder à ce divertissement salutaire est encore moins aisé pour les enfants atteints de certains troubles «dys» (dyslexie, dysorthographie, dysgraphie…, des troubles spécifiques du langage et des apprentissages).

«Au cœur de la forêt du village de Bellécorce et dans les collines alentour vivent des animaux doués de raison, de paroles et d’humour, qui portent des vêtements cousus de leurs propres pattes et concoctent des pâtisseries à vous en retrousser les babines.» A première vue, les phrases initiales du prix Babelio jeunesse 2022, Mémoires de la forêt. Les souvenirs de Ferdinand Taupe, de Mickaël Brun-Arnaud (L’Ecole des loisirs), semblent pouvoir se lire sans accroc. Pourtant, leur décryptage est plus contraignant pour les enfants atteints de dyslexie. «Le décodage et la reconnaissance rapide de mots sont une tâche très coûteuse pour les personnes dyslexiques, explique l’orthophoniste Laura Marie. Certes, tout apprentissage demande de l’effort au début. Ensuite, quand c’est automatisé, on libère du temps cognitif. Pour eux, cela reste coûteux longtemps.» En découlent fatigue et découragement.

«Unités de sens»

C’est ce frein à la lecture plaisir que la société Mobidys tente de lever en adaptant des volumes jeunesse – dont le prix Babelio jeunesse 2022 sus-cité – à un public ayant des besoins spécifiques. Ces opuscules numériques intègrent une quinzaine d’outils développés avec divers professionnels afin de personnaliser les titres en fonction des lecteurs et lectrices. Les lettres ou syllabes peuvent ainsi se parer de couleurs variées, les mots changer de police de caractères pour aider au déchiffrage. Le repérage dans le texte est susceptible d’être facilité, tout comme la compréhension, grâce à un découpage en «unités de sens». «Une phrase longue ne peut pas être lue en entier par un enfant dys. Mais si celui-ci fait une pause à un endroit non cohérent, il aura beau avoir déchiffré le morceau de phrase, il ne va pas comprendre ce qu’il lit», détaille Faustine Tillard, responsable marketing et communication de l’entreprise. Attention toutefois : «Il n’y a pas de solution magique», prévient Laura Marie, qui insiste sur le fait que chaque trouble dys revêt des spécificités et que «même sur un niveau de dys équivalent, les besoins sont différents».

En outre, il n’est pas toujours évident de conjuguer confort de lecture et thèmes qui parlent aux enfants ou aux adolescents. Il peut y avoir un décalage entre ce qui les intéresse et leurs capacités. Le travail d’adaptation d’œuvres existantes est d’autant plus crucial. Pour Faustine Tillard, chez Mobidys «le choix des titres poursuit l’objectif que les enfants dys, ou n’importe quels enfants avec des difficultés, lisent les mêmes livres que les autres et puissent en parler ensemble». Ainsi, le Parfum des fleurs la nuit, de Leïla Slimani, l’Ecume des jours, de Boris Vian, tous deux au programme du bac, ou encore Petit Pays, de Gaël Faye, Goncourt des lycéens 2016, font partie du catalogue.

Centres d’intérêt

Quels que soient les obstacles à dépasser, les professionnels insistent sur un point : il faut partir des centres d’intérêt de l’enfant. «Et il ne s’agit pas forcément de se tourner vers un roman, assure l’orthophoniste. La BD est souvent plus ludique et moins anxiogène que le bloc de texte. On peut aussi proposer des mangas.» Aux réfractaires qui dénigrent ce type de formats, elle oppose : «Bien sûr que c’est de la vraie lecture. Cela permet de manipuler l’objet, de fluidifier le déchiffrage et de passer, ensuite, à un autre type d’ouvrage.» Elle recommande également les «livres-jeux», l’idée étant de soutenir l’enfant dans sa compréhension en renforçant son implication. Avec une promenade dans les pages qui a pour but de résoudre une énigme ou encore de trouver un trésor, l’écueil du décodage sans accéder au sens est ainsi déjoué.

Dans cette lignée, les éditions Drakkar proposent une collection de récits dont les histoires sont entrecoupées d’activités. «L’enfant devient acteur de la narration», se réjouit Sophie Clavellier-Dubos, directrice de la maison. Car rien ne sert d’imposer un niveau trop élevé à l’enfant, «cela ne tiendra pas sur le long terme», prévient Laura Marie. Le secret de la progression ? «Ne pas lâcher, affirme l’orthophoniste. Certains dyslexiques deviennent de grands lecteurs, ce n’est pas rare du tout.»