Avec l’Iceberg, de David Tiago Ribeiro, une plongée dans un paysage sauvage du Groenland nous est proposée. Frank Bruno a perdu une jambe à l’âge de dix-huit ans. Un avion de chasse lui a roulé dessus alors qu’il œuvrait sur un porte-avions. «J’ai passé une partie de ma vie à me détester», explique-t-il. Là, il a retapé une cabane au milieu de nulle part, d’où il peut à loisir observer le ballet des orques et des icebergs. «La magie de cette cabane me permet de retomber dans ce côté enfantin qui me plaît. C’est d’une puissance incroyable, zen, de toute beauté.»
Il évoque ce vrai voyage de l’intérieur, où «ton esprit se met à nu, tu vas à l’essentiel, car c’est compliqué d’être un être. Ici tu veux ressembler à quoi ? Un iceberg ? Un renard ?» Il parle de trouver une réponse philosophique à sa vie. Une existence qui n’est jamais de tout repos, car il faut être sur ses gardes. «Le danger est de tous les instants, tu prends un glaçon dans le bateau, tu coules, le brouillard se lève inopinément, tu te perds… Je suis capitaine de mon âme», raconte Frank. Et pour appuyer son propos, il cite ce proverbe groenlandais qui dit : «Seuls la glace et le temps sont maîtres.» Pour lui, venir dans ce pays l’été, c’est trouver la paix. «Tu prends une énergie d’une puissance incroyable.»
Frank a longtemps côtoyé le milieu de l’aventure où, dit-il, règne le monde de l’ego, «qui peut te permettre de trouver un équilibre mais qui a le désavantage de pouvoir te bouffer si tu ne le maîtrises pas». Le statut d’aventurier au Groenland n’a pour lui «aucun sens», les vrais aventuriers «sont les gens qui vivent ici». Il est aussi conscient que cette «satanée liberté» peut aussi cacher un sacré égoïsme. Alors pour contrer ces pensées, il agit en fondant une association qui emmène des gens comme lui, victimes d’amputation, à la découverte de territoires et de montagnes sauvages, afin, encore une fois, de tester le dépassement de soi. Une recherche du bonheur ? On les voit faire équipe, se transcender, mélanger leurs aptitudes de valides ou de handicapés, changer de regard sur ces fichues béquilles qui aident certains à marcher. «Avec un handicap, non, ta vie n’est pas foutue, au contraire tu peux en être chef.» «J’arrive à soixante ans, c’est le début de ma vie», conclut Frank Bruno.