Comment fournir une alimentation durable et de qualité à toutes et tous ? Enquêtes, portraits, témoignages et reportages... Un dossier réalisé en partenariat avec l’association «Vers un réseau d’achat en commun» à l’occasion de ses 10 ans.
Ce n’est pas parce que je suis romancier que j’invente tout ce que j’écris. Découvrir l’association Vrac a été pour moi l’occasion d’écrire du vrai, celui de la société telle qu’elle est, le vrai de gens que l’on aperçoit de loin, que l’on croise parfois, mais que l’on rencontre peu, les pauvres, les précaires, ceux pour qui la vie a été plus dure qu’à moi-même, ceux dont la société telle qu’elle est en France nous sépare, socialement et même géographiquement. Nous ne vivons pas aux mêmes endroits. Les cités, les quartiers populaires, à moins d’y être né ou d’y travailler, on n’a pas l’occasion d’y aller, pas de raison.
Tout a commencé par une histoire d’amitié, d’ailleurs toute l’histoire est tressée de fils d’amitié. J’ai rencontré Boris Tavernier, le fondateur de Vrac, du temps où il travaillait dans une Scop de cuisine. Quand il décida de faire un livre à partir de l’expérience de Vrac, il fit appel à moi. J’étais le seul écrivain qu’il connaissait, dit-il après en rigolant, mais lui était le seul arpenteur de cités que je connaissais. Nous partîmes à la rencontre de femmes, de vraies battantes, qui nous firent à manger, nous racontèrent leur cuisine, puis leur vie, et celle de leurs familles. Ce fut Femmes d’ici, cuisine d’ailleurs (Albin Michel, 2017), une expérience humaine exceptionnelle, et une expérience gastronomique réjouissante. Notre vision de la banlieue, la mienne surtout, en fut changée.
Dans un monde de précarité, de pauvreté, de violence urbanistique et sociale, on se battait, on vivait, on se réjouissait. C’était bon d’écrire ça, et je me dis même que c’était utile.
Reportage
Et puis nous avons remis ça. Puisque Vrac agissait dans les quartiers de relégation urbaine, de précarité et de déserts commerciaux, dans cette zone d’exercice des associations caritatives qui, heureusement, sont là, mais n’ont pas vocation à résoudre le problème, seulement à en amortir les secousses, nous sommes allés voir les collectifs qui s’auto-organisent pour se procurer les produits alimentaires de qualité, à des prix compatibles avec de faibles revenus, ceux qui tâchent de contourner l’agro-industrie et la grande distribution, pour que les gens mangent bien. Ce n’est pas anecdotique de bien manger, puisque les taux d’obésité et de diabète sont bien plus élevés dans ces quartiers où agit Vrac que dans les villes-centres. Epiceries solidaires, groupements d’achat, collectifs de toutes sortes, dans Ensemble pour mieux se nourrir, (Actes Sud, 2021) nous avons raconté cette effervescence utopique et concrète qui vise à rétablir la santé physique, psychique et sociale mise à mal dans ces périphéries où l’on n’a pas de raison d’aller.
Des fois on se demande à quoi peut bien servir un romancier, ce type qui raconte ; et bien à raconter tout ça, la vie qui se restaure elle-même par le biais de ces multiples associations dont Vrac, qui est la première que j’ai connue, et que je continue de suivre.