Menu
Libération
Rencontre

«Berhault, c’était un soleil. Il avait une lumière, un truc»

Une saison à la montagnedossier
Retour sur l’alpiniste disparu il y a vingt ans, raconté par son ami, le réalisateur et journaliste Gilles Chappaz.
Le guide de haute montagne Patrick Berhault le 15 décembre 2000. (Jean-Pierre Clatot/AFP)
publié le 18 novembre 2024 à 16h37

L’idée de ce documentaire est une idée de génération… J’ai commencé dans les magazines Montagne Mag puis Vertical. Ces journaux sont nés en même temps que la nouvelle escalade dans les années 80, celles des Patrick Berhault, Patrick Edlinger, Christophe Profit et Eric Escoffier… Moi j’étais journaliste débutant, eux grimpeurs en devenir.

Avec Patrick Berhault, on a cinq ans d’écart. On entretenait une relation amicale et professionnelle. Quand, en 2000, il décide de faire sa traversée (1), on s’est vu pour que l’Equipe Magazine les suive un peu. Je lui ai collé une petite caméra, Patrick tenait un livre de bord, il s’en servait pour faire des conférences, transmettre ses impressions. Mais toute sa vie, il a été habité par ce choix de ne pas se mettre en danger devant la caméra. En 1976, lors d’une escalade solo pour France Télé, il avait plu et il s’était fait peur. Cela l’avait marqué. «Faire du solo à la demande, pour quelqu’un qui attend peut-être que je me casse la gueule, je refuse», aurait-il pu dire… Les médias avaient construit une légende avec Berhault et Edlinger, le brun et le blond, deux princes de la montagne.

Ils étaient très copains et leurs trajectoires les ont séparés. Edlinger avait une liberté de grimper que Berhault n’avait pas. Berhault faisait de la danse escalade, était prof à l’école nationale de ski et alpinisme (ENSA), transmettait son savoir… C’était un inspirateur formidable. Ils ont tous deux un charisme énorme, dans un style différent, avec des personnalités très fortes. Edlinger était un vrai timide, écorché, Berhault, c’était un soleil. Quand il arrivait quelque part, tout le monde s’arrêtait pour le regarder. Il avait une lumière, un truc.

Et puis il y a eu ce projet des 82 sommets (une expédition de trois mois qui devait emmener Patrick Berhault et Philippe Magnin sur les 82 sommets des Alpes de plus de 4 000 mètres)… En montagne tu choisis ta date, les bonnes conditions. La vraie difficulté de cette course, c’est que tu passes de l’hiver au printemps. Il y a le retour des avalanches… Le matin où il se tue (le 28 avril 2004, sur l’arête du Dom le 67e 4 000 de leur expédition), il regarde le temps, incertain. Berhault n’a pas le goût ce jour-là. Ils discutent, il ne veut pas capituler devant son pote. Il est comme «dans une prison à ciel ouvert». Ils se mettent en danger pour un truc extérieur à leur discipline. Ils se font rattraper par la com, l’image. Ton conjoint, tes enfants, tes sponsors, ton ego, le journaliste qui t’a appelé la veille… Et enfin, la décision ce n’est pas la tienne. Son pote Philippe Magnin le voit tomber, et il dira après : «je l’avais rêvé, c’était ou lui ou moi».

C’est très sympathique que le Fifav de la Rochelle lui rende hommage… Il mettait des petites fleurs dans tout ce qu’il disait. Il aimait se faire bercer par ses mots. Il disait les trucs joliment.

(1) Une traversée de l’arc alpin en gravissant les voies les plus difficiles ou les plus marquantes des principaux sommets.