En partenariat avec l’Ecole des arts décoratifs, l’Ecole normale supérieure – PSL et le Muséum national d’histoire naturelle, Libération organisait le 23 septembre une biennale pour célébrer le vivant. Une journée de débats et d’échanges que nous vous proposons de retrouver sur notre site.
Les esprits se sont échauffés lors de la première conférence de la biennale «Nous ! Le vivant» organisée ce samedi 23 septembre par l’Ecole normale supérieure-PSL (ENS-PSL), le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), Libération et l’Ecole des arts décoratifs (Ensad). Le décor est posé d’emblée par le directeur de cette dernière, Emmanuel Tibloux : trois hommes blancs occidentaux d’une cinquantaine d’années vont représenter, le temps d’une heure, «toute la diversité du vivant». «Un pari impossible à tenir» selon ses mots, mais pourtant nécessaire et essentiel soutient face à lui Frédéric Worms, directeur de l’ENS-PSL et habitué des pages de Libé : «Aujourd’hui, nous devons penser le vivant sous le signe du danger commun.»
C’est là tout l’enjeu de cette discussion face à un public averti : il est urgent que les champs disciplinaires scientifiques, trop longtemps munis d’œillères, fassent corps pour protéger le vivant. Gilles Bloch, le nouveau président du Muséum national d’histoire naturelle, dit «incarner» cette interdisciplinarité de par son institution. «On a besoin de la biologie, de la zoologie, de la modélisation, et même des sciences humaines pour comprendre comment les actions de protection du vivant peuvent fonctionner dans le monde réel.» Tous sont d’accord, l’interdisciplinarité est la clef.
Explications
Encore faut-il que le grand public entende les alertes des scientifiques. «Des millions de Français n’iront jamais au musée et n’écoutent jamais France Culture, explicite Frédéric Worms. Il faut aller au-devant de la population pour enclencher une prise de conscience sur la fragilité et la nécessité de protéger notre biodiversité.» Car détruire le vivant, c’est aussi détruire l’humanité et Gilles Bloch tient à le souligner : «L’être humain est en train de scier la branche sur laquelle il est installé.»
L’œuf ou la poule ?
Jambes croisées, Jean Trinquier, chercheur en littérature latine et d’histoire des relations hommes-animaux à l’ENS-PSL condense l’intitulé de la conférence suivante «D’où vient le vivant ?» en une devinette qui se transforme en questionnement métaphysique : «Y a-t-il d’abord eu un œuf, ou une poule ?» A ses côtés, le biologiste Thomas Heams et la chercheuse en littérature comparée en science-fiction Irène Langlet l’écoutent. «L’une des réponses donnée à l’époque, qui est une façon d’esquiver le problème, c’est que cet œuf serait d’origine extraterrestre», conclut l’historien. Une théorie largement empruntée par la science-fiction, qui s’est, selon Irène Langlet, toujours imprégnée de la complexité du vivant. «La science-fiction aime énormément, non pas interroger l’origine du vivant, mais son étrangeté.»
Parmi les patrons narratifs les plus importants, celui de la panspermie, hypothèse selon laquelle la vie est apparue sur Terre par des phénomènes extraterrestres. Thomas Heams développe : «Quand on essaie de comprendre comment est apparue la vie sur Terre, il existe une tendance à l’expliquer de manière linéaire. Or la vie est sûrement apparue à plusieurs endroits et de manière différente. Une des hypothèses veut qu’une partie de ces briques de vie serait venue d’ailleurs.» En historien, Jean Trinquier a tenu à aborder la théorie créationniste, où «une instance, à un moment donné, a créé le vivant». Tout autant de questionnements qu’Irène Langlet n’a eu de cesse de parcourir dans ses lectures, «qui s’intéressent à la frontière, au passage entre la mort et la vie, et à cette zone étrange où quelque chose d’inerte se révèle être vivant». Le biologiste concède : «Il n’est pas toujours facile de prédire l’origine de la vie. La réponse que je peux apporter en tant que scientifique, c’est d’engager des dialogues.» L’interdisciplinarité résonne à nouveau dans la salle.
Editorial
Engagement
«Chercher et s’engager.» Pour cette conférence, trois scientifiques de disciplines disjointes se rejoignent sur la manière la plus juste de s’engager en tant que scientifique. «Je ne me suis pas enchaîné, mais je n’ai rien contre», avoue Marc Fleurbaey, économiste au CNRS, en référence à l’action de Scientifique en rébellion au Havre en mai dernier. De leur côté, Aurélie Mosse, designer et chercheuse à l’Ensad et Anne-Caroline Prévot, écologue, ne le feraient pas. Mais tous sont unanimes : leur forme d’engagement se traduit par leurs enseignements, tournés vers le vivant. Aurélie Mosse met le biodesign au cœur de ces cours depuis plusieurs années : «L’enseignement est fondamental pour disséminer ces idées, engager les étudiants sur ces sujets.» Même chose pour Marc Fleurbaey, qui mêle économie et développement durable : «Là où on peut apporter quelque chose, c’est dans le choix de ses sujets de recherche, afin de rendre service à la communauté scientifique et la société». Pour Anne-Caroline Prévot, son engagement passe par le fait «de faire de la bonne recherche», mais surtout «d’aller la populariser hors des cercles académiques».
Quelques mètres plus loin, à l’Ensad, la conférence «Demain les vivants !» a, elle, vraiment des airs de débat. Sur la scène, un peintre, Thomas Lévy-Lasne, un microbiologiste, Marc-André Selosse, et un philosophe, Dominique Lestel. L’artiste se détache le plus des deux autres, en refusant de partager leur vision manichéenne du devenir du vivant. «Ne vous leurrez pas, la nature s’en fout d’être sauvée, argumente Marc-André Selosse. La biodiversité survivra, comme on dit, laissez-en un et il repeuplera le monde.» Et Dominique Lestel d’ajouter : «Le vivant s’en contrefiche de ce qu’il se passe. C’est l’humain qui s’en préoccupe, car il se voit disparaître.» Pour les deux hommes, deux options s’offrent à l’humanité : «Vivre l’apocalypse de façon grandiose, sans se culpabiliser constamment», selon les mots de Dominique Lestel, ou «au moins tenter d’atténuer notre empreinte», dixit le microbiologiste, même si la fin restera la même. «Ce confort-là, je ne le comprends pas, contre Thomas Lévy-Lasne. Je trouve que c’est de l’ordre de la dignité humaine que de ne pas lâcher l’affaire. Le réel est cruel, le monde n’a pas de sens, oui, mais il faut essayer de faire mieux, même si on ne sait pas où l’on va.» Des applaudissements retentissent dans la salle.