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Table ronde

Biodiversité : la montée en puissance du local est indispensable

Transition écologique : le temps des villes et des territoiresdossier
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Les crises écologiques rebattent-elles les cartes de l’aménagement du territoire ? Compte rendu du débat entre élus, agents de l’Etat et scientifiques qui s’est tenue à l’Assemblée nationale le 23 mai.
Sur la côte Atlantique, près de Biarritz,. (Lilian Cazabet/Hans Lucas via AFP)
publié le 11 juin 2024 à 8h40

A l’heure de la transition écologique, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), plongée dans les projets et initiatives qui font bouger les politiques urbaines.

Depuis trente ans, les populations d’insectes s’effondrent. Ces dix dernières années, la mortalité des arbres des forêts françaises a augmenté de 80 % du fait des maladies, des «bioagresseurs» et de la sécheresse, rappelle Marc-André Selosse. En vulgarisateur soucieux de marquer les esprits, le biologiste ponctue son propos de vues apocalyptiques («Les portes de l’Enfer se sont entrouvertes, on commence à peine à sentir son souffle chaud») et de paradis terrestres perdus («Il y a 12 000 ans, avec 6°C de moins, le Sahara était un territoire verdoyant»). Mais un espoir demeure. En matière de biodiversité notamment, tout n’est pas encore joué : «Si on bouge, on peut changer les choses», exhorte le scientifique. Qui s’en charge, et comment ? Après quarante ans de décentralisation, les clés du changement sont-elles entre les mains des élus locaux ?

Pour Philippe Mazenc, aux manettes de la direction ministérielle de l’aménagement, du logement et de la nature, la mission de l’Etat n’est plus d’«imposer, ni de décliner partout le même strict jardin à la française», mais bien d’accompagner les territoires. « Les élus doivent encore faire face à des réglementations qui peuvent paraître complexes, raison pour laquelle l’Etat met en place des dispositifs d’accompagnement, en articulant son ingénierie et en informant, comme avec Aide-territoires. »

Autre exemple avec le «fonds vert», dispositif doté de 2 milliards d’euros en 2023 et reconduit pour 2024, visant à aider les collectivités locales à accélérer la transition écologique. «Un vœu pieux», nuance Elisabeth Jacques, présidente de la communauté de communes de la Vallée de l’Ubaye Serre-Ponçon, dans les Alpes. «Il est faux de dire que les maires sont maîtres de leur PLU [plan local d’urbanisme, ndlr]. L’Etat garde la main», tempête l’élue rurale, qui dénonce un «amoncellement de contraintes et d’interdictions». «Aujourd’hui il faut six ou sept ans pour modifier un plan local d’urbanisme, soit davantage que le temps d’un mandat municipal… Alors je passe mon temps à essayer de faire rentrer des ronds dans des carrés. J’engage la transition en dérogeant à la règle, encore et encore. C’est un combat épuisant.» Et de conclure, combative : «On ne pourra plus vivre sur ces territoires comme on l’a fait par le passé. Nous essayons de construire un futur.»

Cet horizon d’espérance est aussi ce que défend Fanny Lacroix, maire de Chatêl-en-Trièves (Isère) et vice-présidente des maires ruraux de France. A ses yeux, les 35 000 communes françaises, loin de constituer une erreur organisationnelle, offrent une échelle propice à un changement culturel, investi par l’ensemble de la population. Exemple avec le développement de cantines centrales, ouvertes à tous les habitants et non aux seuls écoliers ou agents municipaux, et alimentées par une agriculture locale. Face aux dérèglements climatiques en cours, les métropoles auraient beaucoup à gagner, gage l’élue, à s’inspirer du maillage et des interactions rurales, à «faire village en ville». Le député Dominique Potier (Socialistes et apparentés) abonde : «Une montée en puissance du local est indispensable.» La transition écologique appelle-t-elle une nouvelle étape de décentralisation ? Allouer davantage de moyens aux collectivités, notamment en matière fiscale et de droit du sol, est nécessaire, défend l’élu. «Chacun de nos territoires doit intégrer les limites planétaires. Cette trajectoire peut être un enfer comme une épopée, à nous d’en décider.»