Libération, partenaire du nouveau cycle de conférences «Les humains dans l’espace» organisé par la Cité des sciences et de l’industrie, proposera régulièrement articles, interviews ou tribunes sur les sujets abordés. A suivre, la conférence «Parlez-vous l’extraterrestre ?» mardi 7 novembre à 18 h 30.
Les IA parlantes de la science-fiction sont-elles réalistes ? Les robots de compagnie, les enceintes connectées et les chatbots suivent-ils la même logique que le T-800 de Terminator ? Il y a trois ans, le directeur de recherche au CNRS Frédéric Landragin livrait un passionnant ouvrage sur le langage des robots, paru aux éditions Le Bélial. C’était avant l’arrivée de ChatGPT et le Covid – bref, c’était il y a un siècle. Avant de débattre de langages non-humains à la Cité des sciences, le 7 novembre prochain, Frédéric Landragin revient pour Libération sur les dernières avancées du langage robotique. Qu’on se rassure : la virtuosité verbale du HAL de Kubrick et Clarke ou du Terminator («Hasta la vista, baby») de Cameron reste un horizon lointain.
Quand vous publiez, en 2020, Comment parle un robot ? la parole des machines est déjà très présente dans notre quotidien. Depuis, qu’est-ce qui a changé ?
Aujourd’hui, les commandes vocales des GPS, les robots de compagnie ou encore les jouets parlants, dont les premiers remontent à plus de vingt ans, fonctionnent bien mieux. Mais le vrai tournant est lié à l’essor de ChatGPT, avec lequel la parole robotique investit un espace inédit. Ce chatbot boosté à l’IA est en effet capable, face à n’importe quelle requête, de trouver une réponse, parfois approximative voire totalement fausse – mais peu importe pourvu que l’échange se poursuive. Ça, c’est nouveau. Par le passé, on cherchait à créer des systèmes d’interactions homme machine qui excellent dans une tâche précise. Ainsi du GPS : il saura vous mener sans encombre jusqu’à Trifouilly-les-Oies, mais n’allez pas lui demander la météo locale. Ce modèle-là relève d’une IA dite «symbolique» : quand les règles sont respectées, c’est-à-dire quand on prononce le bon mot, au bon moment, la réponse du robot est parfaite. Dans le cas contraire, la machine ne pourra qu’émettre un constat d’échec plutôt agaçant du type «Je ne comprends pas ce que vous dites».
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En quoi le fonctionnement et le langage de ChatGPT sont-ils différents ?
L’IA dite «statistique» utilisée pour ChatGPT repose sur un corpus alimenté de milliers voire de millions de possibilités de dialogues, avec des questions, des ordres et des réponses très diverses. Grâce au machine learning, un modèle est entraîné à partir de ces données à reproduire des réactions ressemblant aux exemples fournis. En bref, ChatGPT fonctionne à base de probabilités. Cette IA statistique n’est pas une invention récente, mais les réseaux de neurones artificiels (deep learning) ont récemment permis d’accroître très fortement ses capacités : au lieu de se baser sur trois mots pour imaginer une suite probable, les réseaux de neurones réalisent des statistiques sur plusieurs phrases. C’était impossible il y a vingt ans, du fait des temps de calculs et de l’insuffisance des capacités de mémoire. Grâce à cette puissance statistique, ChatGPT peut désormais recracher un texte qui fait sens en apparence, sans fautes de syntaxe ni d’orthographe.
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ChatGPT serait-il en train de rattraper les robots parlants de la SF ?
Il peut parfois sembler rejoindre la fiction… Mais il dit énormément de bêtises, contrairement aux robots de SF, tels que le très pertinent droïde C-3PO de Star Wars. ChatGPT n’est rien d’autre qu’une machine bavarde, qui prononce et écrit un beau charabia.
Pourquoi est-il aussi difficile pour un robot de parler comme un humain ?
Nos langues sont extrêmement complexes, et leur logique est très éloignée de la logique mathématique ou informatique. Nous oublions parfois que nous sommes entraînés, depuis notre plus jeune âge, à trouver rapidement le sens d’une phrase où chaque mot peut être polysémique. Nous passons notre vie à peaufiner notre maniement de la langue !
Ces dernières années, nous avons vu des IA battre les champions du monde d’échecs ou de go. Mais la révolution du langage robotique n’a pas eu lieu. A mes yeux, elle n’est pas pour demain, car nous avons épuisé les possibles de l’IA statistique. Certes, celle-ci pourra encore être perfectionnée, mais elle ne créera pas de compréhension de la machine, seulement une forme de langage statistique amélioré, largement inopérant – songez à ce que cela pourrait produire pour la commande vocale d’un avion de ligne ! Est-ce parce que la langue est le propre de l’homme que la maîtrise de la parole reste hors d’atteinte, qu’elle est ce qui échappe le plus au robot ? Créer une IA qui manie mieux la langue que nous représenterait un véritable point de non-retour. L’imaginer est vertigineux. Et c’est cette fascination, je crois, qui nous pousse à tenter de perfectionner de nouveaux chatbots, de nouvelles machines parlantes.