Cet article est publié dans le cadre du Climat Libé Tour. Les 24 et 25 septembre, Libération vous invite à Grenoble sur le thème de «la science qui résiste» pour deux journées de débats, échanges, projections et ateliers à la rencontre de ceux qui se mobilisent.
«Les professeurs sont les ennemis.» En 2021, J.D. Vance, aujourd’hui vice-président des Etats-Unis, faisait siens les fameux mots de Nixon. Dès janvier 2025, l’arrivée de la nouvelle administration Trump mettait en œuvre un programme sans précédent d’attaques brutales contre les scientifiques et universités américaines : licenciement de milliers de scientifiques et d’experts, interdiction faite aux scientifiques de la Nasa de participer aux réunions du Giec, blocage de financements attribués en particulier pour les recherches sur le climat, les gender studies… Ne nous trompons pas, derrière Trump, Vance et Musk, c’est une nouvelle révolution conservatrice qui est à l’œuvre, appelant à une nouvelle ère d’obscurantisme.
La France n’est pas exempte de menaces, loin s’en faut. Sous couvert de lutte contre le pseudo «wokisme universitaire», expression remplie de fourre-tout, des prises de parole analogues contre les chercheurs et scientifiques se généralisent, même parmi les partis politiques appelés hier «de gouvernement». Les débats autour de la loi Duplomb en sont un exemple criant. A l’appui de certains médias complices, dont la déontologie journalistique semble être une chimère au service d’une ligne éditoriale éhontée, nous avons vu se multiplier les imprécisions, fake news, voire remises en cause à la hussarde des enseignements des centaines d’études scientifiques alertant sur l’impact sanitaire des pesticides ou les conséquences du dérèglement climatique.
Un modèle de gouvernance à part entière
Dans ce contexte, et c’est tout aussi alarmant, la confiance des Français envers la science se trouve aujourd’hui ébranlée. Le cartésianisme, que l’on pensait solidement ancré, n’est plus une évidence et la légitimité des scientifiques est en perdition. Selon une enquête Ipsos en 2021, un Français sur deux estimait que son jugement personnel, le fameux «bon sens», a autant de valeur, si ce n’est davantage, que les explications de scientifiques spécialisés.
Pourtant, si «science sans conscience n’est que ruine de l’âme», à l’heure où nos sociétés traversent des périodes d’incertitudes sans précédent, maintenir la science comme boussole de notre action est bien l’un des combats les plus importants du XXIe siècle. Dans un contexte d’accélération du dérèglement climatique, d’effondrement de la biodiversité, d’instabilité géopolitique, et à l’heure de la «post-vérité», il est essentiel que la science gagne de nouveau ses lettres de noblesse et d’en faire une alliée des décideurs politiques tout comme le socle de l’information des relais d’opinions. Comment accepter, aujourd’hui, que la science bénéficie d’une visibilité identique, si ce n’est moindre, que certains influenceurs climatosceptiques, assumés ou avérés ? Nous avons besoin de la science parce qu’elle constitue un outil, un levier stratégique pour anticiper, adapter, prévenir et transformer nos sociétés, en particulier face aux risques climatiques.
Le réchauffement de la planète n’est toujours pas totalement admis, y compris par des hommes et des femmes politiques, bien qu’il soit largement documenté scientifiquement, bien qu’il fasse l’objet, depuis plus de trente ans, d’un groupement d’experts dédié à l’échelle internationale – le Giec – travaillant à mettre en lumière les éléments relevant d’un consensus de la communauté scientifique, sans minorer l’identification de limites dans les connaissances, soit un modèle de gouvernance à part entière, alliant collectif, interdisciplinarité, crédibilité et transparence. Les scientifiques ont beau décrire les mécanismes physiques et l’emballement à l’œuvre, identifier les tendances, projeter des scénarios, et mettre en évidence les conséquences pour la biodiversité, l’agriculture, l’économie, la santé, la sécurité humaine et, in fine, les migrations qui en résultent, il demeure des aveugles volontaires, qui persistent à ignorer ces signaux, à privilégier le court-termisme et piloter à vue un navire lancé vers des récifs pourtant bien réels.
Un formidable outil d’initiation, de formation, de transmission
Il ne s’agit pas ici d’appeler à déléguer la décision aux scientifiques – le politique reste le lieu du choix démocratique, bien entendu. Mais nous devons ancrer nos décisions dans un socle de preuves solides, d’expertises partagées, et non dans des impressions, des envies ou des calculs opportunistes. Les scientifiques ne dictent pas ce qu’il faut faire : ils rendent visible ce qui va advenir si nous ne faisons rien, et ce que nous pouvons espérer en agissant.
Alors la science ne doit pas être cachée, ostracisée ou réservée, sur les plateaux médiatiques, à quelques rares chercheurs dont il est de plus en plus fréquent de décrédibiliser ou relativiser la parole par une chronique ou un simple revers de main. Elle doit au contraire être partagée, vulgarisée, expliquée. Constamment. Il est de notre responsabilité de donner au plus grand nombre les clés et outils fiables à chacun pour développer son esprit critique, promouvoir les vertus de la raison et du raisonnement scientifique, et prendre, individuellement et collectivement, les meilleures décisions.
Il ne s’agit pas d’enseigner ou de prendre la science comme un dogme, mais d’inculquer qu’elle procède avant tout du débat et d’une mise à l’épreuve d’hypothèses. C’est ce que j’aime dans la science et c’est, pour ma part, ce qui me guide dans mes fonctions électives et dans ma manière de les honorer. En tant qu’enseignant-chercheur, je sais qu’un lieu, où on apprend à tester et être acteur de la science, est un formidable outil d’initiation, de formation, de transmission, qui peut réellement éveiller la curiosité des plus jeunes mais aussi des novices, attiser leur ouverture au monde et le goût à chercher des réponses.
Ce lieu, nous l’avons fabriqué dans la métropole grenobloise avec la création du centre des sciences Cosmocité, lieu de vulgarisation scientifique au cœur des quartiers de la politique de la ville, accessible au plus grand nombre. Cet esprit, nous le revendiquons dans toutes les collaborations, dans tous nos travaux avec les chercheurs de l’université grenobloise et des grandes écoles, qui participent notamment au comité scientifique de notre plan «climat air énergie» et à qui nous avons remis les clefs pour mener en toute indépendance – du politique notamment –, les travaux de la Convention citoyenne métropolitaine pour le climat. C’est également cet esprit qui nous habite dans l’organisation et l’accueil, à la Maison de la culture de Grenoble, de cette nouvelle édition du Climat Libé Tour intitulée «Quand la science résiste».
Mettre la science à la portée de tous n’est pas qu’une conviction, c’est aussi le chemin pour que celles et ceux qui veulent s’en détourner ne le puissent jamais.