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Libération
Reportage

Cité de l’Orient : «On ne peut pas réussir sans les habitants»

Dans le Pas-de-Calais, un ambitieux programme de réhabilitation des corons a été initié en pays minier avec l’implication des résidents et sur la base de leur expertise. Visite.

Vue aérienne de Calais. (Philippe Turpin/Photononstop. AFP)
ParStéphanie Maurice
correspondante à Lille
Publié le 21/10/2025 à 13h45

Comment réconcilier métropoles et campagnes, périphéries et centres-villes, écologie et habitat ? Plongée, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) dans les initiatives qui améliorent les politiques urbaines.

En ces derniers jours du mois d’août, sur les berges de la Sensée, un petit groupe d’urbanistes, que nous accompagnons, pédale sec dans les méandres du pays minier du Pas-de-Calais. Ils sont en «arpentage», un mode de découverte concrète du terrain auquel tient la plateforme Popsu, qui organisait cette année son campus annuel à Lens.

Sur ces terrains plats, les mollets ne souffrent pas trop, les vélos sont électriques. Ils longent des terrils, ces collines constituées par les résidus remontés du fond, souvent du schiste, qui aujourd’hui reverdissent. Ils empruntent, sans s’en rendre compte, les anciennes voies ferrées installées sur de longues buttes de terre où circulaient les trains des charbonnages aux wagonnets remplis de «gaillettes» – le nom en patois des morceaux de charbon brut extraits des galeries. Leur destination ? La cité de l’Orient à Harnes, un quartier de corons comme il y en a tant sur ce territoire, où l’exploitation charbonnière a façonné les paysages et les villes. Mais dans cette rue où les maisonnettes à réhabiliter sont alignées comme à la parade, s’est installée une doctorante en résidence. Mélusine Pagnier y tient depuis bientôt quatre ans une permanence architecturale de recherche.

Frilosité face à l’expérimentation

Ce petit monde en vadrouille se serre dans le rez-de-chaussée de la permanence pour écouter Béatrice Mariolle, architecte et professeure à l’Ecole nationale d’architecture et du paysage de Lille, à l’origine du projet. Elle a répondu à un appel à projet du ministère de la Culture en 2016, pour la création d’une chaire partenariale sur le bassin minier. L’idée enthousiasme à l’époque le directeur général de Maisons et cités, le bailleur social qui gère le patrimoine immobilier hérité des anciens Charbonnages de France. Soit… 64 630 logements. Etonnement des urbanistes : «Je n’ose pas imaginer cela sur mon territoire», souffle l’un d’eux. Il peut y avoir de la frilosité face à l’expérimentation, et le cadre légal de la commande publique ne simplifie pas non plus les choses.

«Faire le projet par le bas»

«L’idée de départ est de dire qu’on ne peut pas réussir ces réhabilitations si on les fait sans les habitants», explique Mélusine Pagnier. «Cela veut dire que des concepteurs vont s’immerger avec les habitants, faire le projet par le bas», détaille-t-elle. Rendre visible toutes ces connaissances et expériences ignorées et proposer des solutions cousues main, adaptées à chaque logement.

A la cité de l’Orient par exemple, les modes de chauffage sont différents, les méthodes d’isolation aussi, selon les travaux réalisés au fil des années. Le placo est roi ainsi que les ponts thermiques. Pour être efficace, une rénovation énergétique doit partir de ces dysfonctionnements que connaissent sur le bout des doigts les habitants. Il s’agit de reconnaître leur expertise, sur la maison où ils habitent : la chaleur qui monte à l’étage par l’escalier et qu’il faut rompre par un rideau hygrothermique ; la porte d’entrée qui s’ouvre directement sur le salon où un petit sas serait bien pratique, pour éviter que le froid ne s’engouffre… Tout le contraire de la méthode habituelle, qui passe par une massification de la rénovation, sans tenir compte des disparités d’un logement à l’autre.

Il s’agit aussi de s’adapter à l’architecture si particulière d’un coron, où les pièces sont petites. Une isolation intérieure classique est difficilement imaginable : à la cité de l’Orient, les habitants ont testé des tapisseries isolantes et colorées sur les murs qu’ils ont fabriqués eux-mêmes, renouant avec les pratiques d’antan. Une rénovation énergétique légère. Ont été aussi testés du mobilier chauffant, et des enduits de terre.

Allures de guinguette

Sur ces bases expérimentales, un collectif d’habitants s’est créé et a commencé à prendre en main son quartier. Ce qui n’était pas gagné, témoigne Emmanuel Lopez, 52 ans, qui en fait partie. «Les gens du temps des mineurs étaient solidaires. Mais depuis, on a connu des problèmes entre voisins, des gens qui crevaient des pneus. Maintenant, les habitants osent sortir de chez eux.» Ils ont recréé des espaces communs où ils ont pu s’exprimer et être entendus par le bailleur social.

Une maison et son jardin ont ainsi été mis à leur disposition pour créer une ressourcerie, un cinéma associatif (dont les premières projections se sont tenues dans la rue) et un café associatif avec terrasse appelé «la Buvette de Ginette». Désormais salarié de la ressourcerie, Emmanuel Lopez n’est pas peu fier de montrer le nouvel ensemble, aux allures de guinguette au soleil, où s’égayent nos urbanistes en goguette.