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Débats

Climat Libé Tour à Bordeaux : «Il n’y a pas de juste répartition des efforts»

Les échanges et les débats de la deuxième journée du Climat Libé Tour, samedi à Bordeaux, se sont principalement articulés autour de la thématique de la justice sociale.
Lors du débat «L'écologie peut-elle être populaire ?» ce samedi 10 février. (Rodolphe Escher/Libération)
par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux
publié le 11 février 2024 à 15h51

S’il est un constat qui a mis d’accord tous les interlocuteurs présents lors de la deuxième journée du Climat Libé tour à Bordeaux, c’est l’absolue nécessité de relier la question de l’écologie à la question sociale. Et plus particulièrement celle de la justice sociale. Une évidence pour Renaud Hourcade, historien et sociologue du politique qui est intervenu samedi matin, lors de la première conférence de la journée baptisée L’écologie peut-elle être populaire ? Devant une salle comble, dans l’amphithéâtre Gintrac de l’Université de Bordeaux, il a commencé par lister les instruments concrets qui commencent «à peser sur les modes de vie» : les zones à faible émission, les zones zéro artificialisation nette, les régulations sur l’épandage des pesticides…

«Un moment de violence légitime, du point de vue des objectifs», rappelle l’enseignant à Sciences-Po Bordeaux, mais qui «pèse très lourdement sur les modes de vie, avec des coûts et des bénéfices très mal répartis». Sans surprise, les récentes manifestations des agriculteurs ont largement irrigué le débat. Il faut, a-t-il insisté, concevoir que pour une partie de la population, ces nouvelles normes environnementales, c’est parfois «leur monde qui s’effondre». Le sociologue blâme «des politiques écologiques verticales, discriminantes et stigmatisantes». A partir de là, «le retour de bâton» lui apparaît «politiquement gênant mais sociologiquement compréhensible».

«Simplification, tyrannie de l’émotion et dictature de l’instant»

A ses côtés, Noël Mamère, ancien candidat des Verts à la présidentielle – il a réalisé le meilleur score des écolos à une présidentielle (5,25 % en 2002) – n’a pas cessé d’acquiescer, fustigeant «l’absence d’accompagnement» des dispositifs écologiques. «On voit bien, au regard des chiffres, quelle est la part d’une famille modeste dans la production des gaz à effets de serre et la part de ceux qu’on appelle les riches ou les ultra-riches. Pourtant, il n’y a pas de juste répartition des efforts». Pour l’ancien homme politique et journaliste, la tâche des écologistes est rendue encore plus difficile car «tout est dominé par la simplification, la tyrannie de l’émotion et la dictature de l’instant. Il reste ensuite peu de place pour expliciter la complexité du monde.»

Vipulan Puvaneswaran, un jeune militant écologiste de 21 ans, par ailleurs acteur dans le film Animal de Cyril Dion, constate lui aussi une «importante fracture sociale» entre ceux qui polluent et les victimes du réchauffement climatique, mais il a tenu à casser d’emblée l’idée reçue selon laquelle il existe une «fracture générationnelle». «Il est extrêmement important de déconstruire cette notion, elle peut créer des conflits inutiles qui ralentissent la cause», a-t-il déroulé citant pour exemple le lycée qu’il fréquentait. «On va dire les mots : dans mon lycée, il y avait pas mal d’enfants de bourgeois, qui comptent travailler chez Total, Monsanto et qui n’ont pas de considérations particulières pour les questions écologiques. Ni sociale d’ailleurs.»

«Finance verte»

Les plus courageux sont restés pour la conférence suivante qui abordait la question, éminemment complexe, du financement : «écologie : mon ennemi, c’est la finance ?» Une référence au discours du Bourget de François Hollande lors de la campagne présidentielle de 2012. Malgré l’aridité de l’intitulé, Christine, 65 ans, a décidé de rester sur les bancs de la fac, après avoir longuement hésité à quitter la salle. «J’ai peur de ne pas tout comprendre et en même temps, ma fille, étudiante en sociologie, m’incite depuis des mois à changer de banque pour moins polluer. Je verrai si ça vaut vraiment le coup», a-t-elle confié avant de sortir un petit cahier rouge pour prendre des notes.

Le boom de la finance verte peut-il réinventer un capitalisme durable et contribuer à payer la transition écologique ? Pour Lucie Pinson, fondatrice de l’ONG Reclaim Finance et lauréate du prestigieux prix Goldman pour l’environnement, seule une forme de pression de la part des citoyens peut aboutir à un recul des banques dans le financement des énergies fossiles et des entreprises polluantes. Elle prône une analyse comparative des banques françaises pour sensibiliser le grand public. «Il a le droit de savoir à quoi va servir son argent quand il le dépose sur son compte». La militante écologiste évoque notamment la notion de «risque réputationnel» comme levier majeur de la transformation. D’autant plus quand celui-ci se traduit par des coûts importants pour les établissements financiers. «Personne n’a envie d’apparaître aux yeux du monde comme le principal responsable de l’aggravation du réchauffement climatique». Ainsi, la finance ne serait «pas un ennemi à combattre mais un adversaire à convaincre». Pendant le débat, les différents intervenants ont également réclamé davantage de contrôle, avec une instance qui serait capable, par exemple, de sanctionner le greenwashing. Christine, elle, est repartie convaincue : en sortant, elle a glissé dans son sac un petit dépliant du Crédit coopératif.

«Je suis un passeur»

Après des conférences sur le thème de «la France qui essaie» ou «les femmes, premières victimes du réchauffement climatique ?», la diffusion du film la Promesse verte, en avant-première, a clôturé la journée de samedi. Dans ce thriller écologique et politique, le réalisateur Edouard Bergeon, qui s’est fait connaître avec son précédent long-métrage Au nom de la terre, y raconte le combat d’une mère pour sauver son fils Martin, injustement condamné à mort en Indonésie. Interprétée par Alexandra Lamy, Carole se lance dans un combat inégal contre les exploitants d’huile de palme responsables de la déforestation et contre les puissants lobbies industriels. Edouard Bergeon était présent hier soir pour présenter son travail au public. Avec ce film, le réalisateur explique avoir voulu endosser «le rôle de passeur». «Je veux passer un message : la forêt qui est détruite à l’autre bout de monde, ça nous concerne aussi. Le spectateur doit prendre conscience que la forêt primaire est un poumon pour le monde. Je veux qu’il tombe amoureux de cette forêt dès la première image et s’indigne ensuite de sa destruction». La Promesse verte sortira au cinéma le 27 mars.

Ce dimanche, le Climat Libé tour se poursuit avec une nouvelle journée de conférences. Au programme : Comment bien et mieux se loger sans détruire la planète ?, La vie chère est-elle synonyme de malbouffe ?, L’économie peut-elle être sociale et solidaire ?… Le week-end se terminera par un grand entretien avec la militante Camille Etienne et la journaliste et responsable du pôle écologie du média Blast Paloma Moritz.