Prendre le pouls du pays. Distinguer les signaux faibles. Aller à la rencontre des forces vives. En 2023, avec le Climat Libé Tour, la rédaction est partie en campagne. De villes en villes, sur les routes de France, Libé a voulu se faire l’écho d’un pays en mouvement et tenir chronique des gestes et des solutions qui s’engagent, au quotidien, pour changer ses habitudes et lutter, à son échelle, contre le réchauffement climatique. Pour cause, chaque année, les records explosent avec une constance redoutable qui appelle l’admiration. A date, 2023 sera l’année la plus chaude jamais enregistrée, juste après 2022, avec des pics extrêmes de chaleur, parfois à plus de 50 degrés ; des inondations et des crues historiques partout sur le territoire, comme dans le Pas-de-Calais ; des sécheresses qui continuent de faire rage dans plusieurs départements, faisant craindre des restrictions et à des coupures chroniques d’eau.
Alors, que reste-t-il à faire ? Comment continuer d’espérer quand la Terre brûle ? Pour Libé, pas question de se laisser aller au pessimisme ambiant ou au climatoscepticisme, nouvelle star de X (ex-Twitter). Pas question non plus de se laisser voler la vedette par le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, épinglé pour ses multiples vols en avion d’affaires, qui nous a sagement regardé essuyer les plâtres avant de lancer son propre «tour de France de l’écologie». Le Climat Libé Tour, lui, s’est arrêté, entre février et décembre, dans les territoires qui se sont fermement engagés dans la décarbonation : Bordeaux, Paris, Lyon, Dunkerque, la Loire-Atlantique (Nantes), Marseille.
Des débats pour panser le monde
En une année, le Climat Libé Tour, c’est près de 18 000 visiteurs, plus de 400 experts mobilisés partout en France et 300 jeunes formés aux enjeux climatiques A l’échelle d’une chaîne radio par exemple, le Climat Libé Tour équivaut à la programmation d’une émission hebdomadaire sur le sujet : un engagement inédit pour un média de presse quotidienne national qui a, par ailleurs, renforcé, cette année, son service environnement. «Si rien n’est fait dans l’immédiat, demain, il sera trop tard. Mais attention à ne pas devenir caricatural. Il ne faut pas se déconnecter des gens avec nos actions. Dès que c’est possible, il faut de la pédagogie», explique Féris Barkat, fondateur de Banlieue Climat, à la tribune de l’université de Bordeaux, en février dernier. De la pédagogie pour ce jeune militant qui cherche à sensibiliser les quartiers populaires aux enjeux climatiques, une alerte pour d’autres. François Gemenne, politologue, coauteur du dernier rapport du Giec et expert-conseil de la Ville de Paris dans l’écriture de son nouveau Plan climat adopté il y a quelques semaines, rappelait à l’Académie du climat en mars dernier : «Nous n’avons plus le luxe de choisir entre les stratégies d’atténuation et d’adaptation. L’enjeu ce n’est pas de savoir s’il faut réduire nos émissions de gaz à effet de serre ou plutôt nous adapter aux impacts du changement climatique : l’enjeu c’est de faire les deux, et les deux sont complémentaires.» Faute de quoi, les premières victimes seraient les personnes les plus vulnérables, comme le scandaient déjà les gilets jaunes en 2018, repris par les marcheurs pour le climat : «Fin du monde, fin du mois : même combat ?» Et alors que le rapport remis le 20 décembre dernier à l’Assemblée par le collectif Alerte, réunissant 34 associations de solidarité et de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, exhorte «de penser la planification écologique comme un levier d’inclusion et de respect du droit à un environnement sain», comment aider les classes populaires à consommer mieux et moins ?
Etre dans l’action pour ne pas désespérer
Si ces associations appellent à un «contrat social de transition», pour le ministre de l’industrie, Roland Lescure, c’est d’abord une question d’énergies : il faut «passer du gaz à l’électricité, remplacer le charbon par l’hydrogène, capter du carbone…», nous disait-il à Dunkerque en plein débat sur le projet de loi «industrie verte» votée en octobre. Marie Toussaint, tête de liste aux européennes pour les Ecologistes, elle, le rappelle : «Le mieux, ce serait de prendre le tournant de la sobriété.» Même constat pour le climatologue et membre du Giec Christophe Cassou, infatigable vulgarisateur vivement chahuté l’été dernier sur les réseaux sociaux : «Le changement climatique n’est pas une crise comme on le dit trop souvent, c’est une trajectoire. On ne peut pas négocier avec cela. Ce n’est pas une opinion, mais des faits scientifiques. On doit agir vite et maintenant.» Comme par exemple sur la manière de s’occuper de nos terres agricoles et de se nourrir. «Nos régimes alimentaires déterminent le type de culture, le profil des exploitations, si la production est en bio ou pas, plus ou moins carné, local ou pas, a souligné Virginie Raisson-Victor, lors de l’étape du Climat Libé Tour en Loire-Atlantique à Nantes. On importe le fourrage du Brésil, on élève ici et on désosse en Pologne, ça n’a plus aucun sens.» Sans compter la pollution engendrée par la surconsommation qui continue de détruire la planète. En 2030, par exemple, l’industrie plastique produira plus de 600 millions de tonnes. Alors, baignerons-nous dans un océan de plastiques ? Pour l’océanographe Richard Sempéré, chercheur à Aix-Marseille Université, la réponse coule de source : «Oui, d’ici un siècle.» Pourtant, sur le terrain, les associations qui ramassent les détritus le long du littoral à Marseille continuent de se mobiliser, comme Alexandre Mounier, bénévole d’1 déchet par jour : «Le meilleur déchet, c’est celui qu’on ne produit pas.» Il n’est pas dupe, «ce n’est pas populaire auprès des entreprises car ce n’est pas bon pour l’économie. Mais pour limiter nos pollutions, c’est le levier le plus important.» Existe-t-il alors une écologie de la croissance ? Le gouvernement y croit et ne s’en cache pas.
Des imaginaires plus inclusifs et moins anxiogènes
A Lyon, l’autrice Marie Desplechin a rappelé qu’il fallait inventer de nouveaux imaginaires plus inclusifs et moins anxiogènes. Elle l’a avoué : «Si je ne fais parler que d’écologie à la maison, je vais saouler tout le monde.» En famille, comment alors «garder un bon contact sans se confronter ?» Au Climat Libé Tour, on croit que le changement s’invente dans l’exemple. Gratuité des transports, gaspillage alimentaire, fiscalité, mobilités douces, nature en ville… Dans les territoires, des centaines d’associations sont mobilisées pour agir concrètement. Sans se bercer d’illusion, un visiteur nous a fait part de ses craintes : «C’est mon seul regret. Dès que je me rends à ce type de forum, le public est déjà sensible à la question du réchauffement climatique.» En 2024, Libé vous écoute : on continuera de parler climat pour toutes et tous. Chaque ville étape de l’an dernier a décidé de repartir pour une année 2, et deux nouvelles rejoindront l’aventure : Montpellier et Grenoble. On recommence ?