Initiative citoyenne, le Festival des Idées organise, du 4 au 6 juillet à la Charité-sur-Loire, plus de 30 rendez-vous pour débattre des défis culturels et politiques de demain. Un événement dont Libération est partenaire.
La référence aux «années 30» est devenue un rituel paresseux, comme si on avait à faire à un phénomène naturel, une fatalité historique qui voudrait que, à échéance centennale, le libéralisme économique accouche de l’horreur.
J’ai toujours été réticent à l’égard de cette comparaison mal pensée. Mais cette présence des années 30 dans le débat public est un phénomène dont il faut se saisir. En particulier avec la multiplication des références au nazisme constatée chez les candidats du RN aux législatives de 2024 et leurs entourages ou avec les saluts nazis diffusés en mondovision depuis Washington DC.
L’antienne du retour des années 30 se révèle au fond commode pour incriminer l’électorat populaire : la crise économique engendre le malheur social qui aboutit à la victoire «des extrêmes». Autrement dit, la démocratie est un pari risqué, car les gueux se retournent contre elle en votant nazi.
Toutes les études montrent le contraire : les nazis n’ont jamais gagné une élection nationale en Allemagne et l’électorat populaire a voté contre eux de manière réitérée. Ce viatique répété à longueur de plateaux est donc faux.
A contrario, toute réflexion sérieuse sur l’insertion du phénomène nazi dans notre histoire met mal à l’aise. La foudre peut s’abattre sur un Jean-Michel Aphatie, peu suspect pourtant d’islamo-gauchisme, quand il rappelle que les nazis se sont inspirés des méthodes des Français en Algérie alors qu’il ne fait que dire l’évidence et le consensus des historiennes et historiens.
Penser les rapports entre nazisme et capitalisme
On se complaît souvent dans une appréhension du nazisme renvoyé à l’indicible en raison du caractère atroce de la Shoah. Mais la confusion entre nazisme et Shoah est une erreur : l’historiographie a bien montré le caractère tardif (été-décembre 1941) de la «solution finale».
Il faut penser plus sérieusement les rapports entre nazisme et modernité, nazisme et capitalisme. Confondre nazisme et Shoah interdit de comprendre à quel point la modernité nazie a séduit élites économiques, intellectuelles et politiques. Ils ont vu, dans l’Allemagne des années 1930 un modèle pour régénérer l’Occident. Le nazisme avait, par la destruction violente de la gauche partidaire et syndicale et par les commandes massives d’armement, fait de l’Allemagne un eldorado du «return on equity». La contre-révolution allemande offrait aussi un avenir à un Occident miné par une guerre qui avait montré les limites des Lumières et un affaissement démographique qui faisait redouter la revanche des colonies.
Les nazis opéraient une régénération sociobiologique de leur pays en recodant le vieil antisémitisme européen. Fondée sur un discours validiste, masculiniste et juvéliniste, la politique nazie résonnait aussi avec les fondamentaux sociaux darwinistes et suprémacistes d’un Occident capitaliste et colonial.
Le phénomène nazi nous est donc plus proche que nous le fait accroire une doxa selon laquelle l’Occident libéral s’était dressé contre lui dès l’origine. Aborder le phénomène nazi comme une expression paroxystique de la modernité occidentale permet en particulier de comprendre la double victoire d’une extrême droite décomplexée aux Etats-Unis (2016 et 2024), pays marqué par une culture raciste et eugéniste, qui était ouvertement antisémite et pronazi dans les années 30.
Cela permet aussi d’aborder la comparaison avec nos régimes démocratiques remis en cause par l’explosion des inégalités et l’obsession anticommuniste (en ses avatars contemporains) d’élites prêtes à tout pour sauvegarder leurs intérêts égoïstes. Jusque et y compris en sacrifiant la démocratie et les droits humains.
Saluts nazis, discours racistes et eugénistes, darwinisme social sont manifestement populaires chez les géants de la tech et on voit, comme dans les années 30, les plus grandes fortunes multiplier les génuflexions devant les pires ennemis de la démocratie comme Trump et Milei…
Surpris par l’abondance des parallèles entre l’Allemagne pré-1933 et la France post-2017, j’ai tenté d’identifier (1) une «récidive» possible : en passant d’un fatalisme résigné qui rend absurde toute résistance, à l’identification des acteurs et de leur logique, on atterrit dans l’orbe de l’histoire, ce lieu gouverné par la liberté et les choix d’agents sociaux. Un enseignement, propre à nous redonner espoir face aux saluts nazis : rien n’était écrit, loin de là.