La comparaison est inévitable : la Convention citoyenne bordelaise, lancée par la ville à l’automne 2023, pour répondre à la question «Comment mieux agir collectivement pour nous adapter à l’urgence climatique ?», va-t-elle faire autant de déçus que celle constituée par Emmanuel Macron en 2019 ? «Avec lui, la compétition n’est pas trop difficile», a raillé d’emblée Pierre Hurmic, lors de la soirée d’ouverture du Climat Libé Tour, vendredi soir. Elu en 2020 sous la bannière écolo, le maire de Bordeaux le promet avec vigueur : cette fois-ci, les recommandations des citoyens ne vont pas rester dans les cartons. Ses équipes se sont engagées à rendre public leur avis «dans son intégralité» et à «soumettre les propositions relevant des compétences de la ville au conseil municipal». Dont acte.
Deux heures plus tôt, cent Bordelaises et Bordelais, ont été accueillis en grande pompe à l’hôtel de ville pour remettre leurs préconisations. D’octobre à février, ces citoyens recrutés par tirage au sort ou sur la base du volontariat, ont planché, à huis clos, sur l’urgence climatique. Soit environ quarante-huit heures de travail bénévole cumulées par personne, réparties sur cinq week-ends. Jusqu’au bout, personne ne connaissait le contenu de leur travail, pas même le maire. Leur anonymat a été préservé pour éviter toute pression. «Pour ce mandat, vous nous avez demandé d’oser, d’être transgressifs si nécessaire. C’est ce qu’on a fait. Vous êtes venus nous chercher, maintenant on ne va pas vous lâcher», ont lancé plusieurs d’entre eux en introduction. «On aurait pu s’attendre à de la sidération, de la tétanie mais à la place, nous avons eu un élan et une fougue peu commune. En quelques heures, notre tribu a pris le sujet à bras-le-corps», décrivent-ils encore.
Réduire la place de la voiture
Afin de construire leur projet politique, les conventionnés, comme ils s’appellent entre eux, se sont appuyés sur plusieurs valeurs pour définir la nouvelle société dans laquelle ils veulent vivre : le respect de la santé de tous les vivants humains ou non humains, la sobriété et le respect des limites planétaires, la solidarité, l’inclusivité, le soin des autres ou encore l’idée d’une démocratie participative, active et transparente. La mairie a mis à leur disposition une trentaine d’experts pour les aider à «imaginer des alternatives concrètes par rapport aux usages de la vie quotidienne».
Partant de ce constat et après des heures de discussion «parfois mouvementées», les cent ont accouché de plusieurs dizaines de propositions réunies dans un livret de 70 pages remis à la ville vendredi soir et déjà disponible en ligne. Ils demandent, par exemple, la mise en place d’une instance citoyenne consultative à l’échelle de la ville, pour rendre un avis sur un projet, en matière environnementale et /ou sociale, éclairé par des experts ; l’accélération de la végétalisation de la ville en tendant, par exemple, des câbles entre deux toits pour faire courir la végétation ; l’expérimentation du revenu universel ; l’installation d’un guichet unique permettant de visualiser l’ensemble des aides disponibles pour la rénovation thermique ; la diminution du nombre de panneaux publicitaires et la suppression des panneaux de publicité lumineux ; l’ouverture d’un dialogue citoyen sur l’interdiction des paquebots à Bordeaux…
Parmi les mesures phares figure, sans surprise, la diminution drastique de la voiture en ville, qui occupe à ce jour 70 % de l’espace public alors qu’elle représente seulement 25 % des déplacements. Sur le modèle de l’exemple grenoblois, les conventionnés invitent aussi la municipalité à mener une expérimentation en recrutant des «community organizers» à l’échelle des quartiers. «Ces derniers pourraient être chargés de faire un relevé des passoires et bouilloires thermiques sur Bordeaux, faire du porte-à-porte, rassembler les gens d’un même immeuble sur ce sujet, pour faire pression sur les propriétaires de ces logements», suggèrent-ils. Plus qu’un empilement de mesures, une partie du groupe a également élaboré un «calendrier de l’après» : des scénarios fictifs qui plongent le lecteur «dans le Bordeaux de 2040» et se projettent sur les défis climatiques à venir. Un moyen de sensibiliser davantage la population au réchauffement climatique.
«Dessiner un horizon d’espérance»
«On a rapidement créé des liens entre nous», se remémore Annabelle, 19 ans, l’une des benjamines de la convention. «Pour nous, ce n’est que le début. Nous avons déjà prévu de nous revoir pour poursuivre le travail.» Dans la salle, le plus jeune a 17 ans, l’aînée 81 ans. Certains sont étudiants, retraités, sans emploi, chefs d’entreprise, ouvriers, soignants… «Il y a une grande diversité des profils», se félicite le collectif. Pour une meilleure représentation, ils habitent tous différents quartiers à Bordeaux. «On mesure la chance d’avoir pu participer à ce grand dialogue. Pour la première fois, j’ai vraiment eu l’impression d’être impliquée dans la vie de ma ville», se réjouit Fatima, 55 ans, agent de service hospitalier. Des Bordelais de la Convention citoyenne pointent toutefois «une très mauvaise communication de la ville» de manière globale. «Lors de cette convention, on a découvert beaucoup de projets et de services dont on n’avait jamais entendu parler. Il faut que l’info circule davantage», déplorent-ils.
A l’issue de la restitution, Pierre Hurmic s’est défendu d’avoir voulu orienter le débat : «Il y a sans doute des similitudes avec des points de mon programme électoral, mais le grand dialogue n’est pas et ne doit pas être une opération de communicants», a insisté l’élu en découvrant une partie des propositions. «Vous nous aidez à dessiner un horizon d’espérance dans un monde où tout le monde est désenchanté. Avec ces propositions, nous voulons démontrer que l’urgence climatique peut trouver des solutions grâce à l’effort collectif, en faisant émerger des solutions pragmatiques. Maintenant, c’est à nous de prendre le relais. Et notre travail commence dès lundi.»