On a garé la voiture aux confins de la Côte d’Opale et de la baie de Somme. Nous sommes au Hourdel où pointe un petit phare en pierre. Renée Michon, dite «Reinette», nous y attend, le visage tanné et souriant, deux seaux pendant à ses bras : «Vous ferez attention parce que ça glisse là où on va. Je vois que vous avez pris des bottes lisses c’est pour ça.» Les chaussures se coinçant dans la vase, on arrive péniblement à une étendue de plantes vertes et bleues rognant la mer. Reinette se baisse, armée de son petit couteau pour nous faire goûter les précieuses feuilles qu’elle détache : l’obione d’abord, qu’on appelle «oreille de cochon» dans la région, au goût salin et proche du pourpier, puis l’aster maritime dont la saveur de la tige croquante rappelle la fraîcheur d’une huître fraîchement ouverte.
Il y a une dizaine d’années, elle avait beau leur dire à tous que ces plantes se mangeaient, personne ne la prenait réellement au sérieux : «C’est malheureux, on a des pans entiers de ces plantes qui poussent naturellement sur nos côtes et on les laisse là. C’est un peu comme si vous aviez des champs de salades ou de carottes à disposition et que vous détourniez le regard.» A 67 ans, Reinette a fait de cette cueillette solitaire son métier. Elle fait partie des 160 cueilleurs de végétaux professionnels de la côte, elle n’est limitée par aucun quota de récolte contrairement aux glaneurs du dimanche. Elle roule dans les plantes pour atterrir athlétiquement dans un recoi