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Libération
Climat Libé Tour Marseille: reportage

Croisières à Marseille : et vogue la galère judiciaire

Des habitants des quartiers du nord de la ville, voisins du port autonome, ont porté plainte contre X pour «mise en danger de la vie d’autrui» et «pollution». Dans le viseur, les centaines d’escales des paquebots et leurs fumées polluantes.
Le paquebot de croisières Evrima, de la compagnie Ritz-Carlton, à Marseille, le 27 juillet. (Carine Schmitt/Hans Lucas.AFP)
par Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille
publié le 12 décembre 2023 à 11h30
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Depuis trois jours, c’est presque trop calme pour être vrai. Pas un paquebot à l’horizon en vue depuis le jardin de Michèle Rauzier, dont la maison trône en haut de Mourepiane, un quartier du nord de Marseille avec vue sur mer. L’horizon n’est pas brouillé par les habituels panaches blancs ou noirs sortant des cheminées géantes. Les vacances, enfin, pour les riverains du port autonome versant parking à croisières, activité en pleine dynamique ascendante sur la ville avec 572 escales en 2022 pour 1,4 million de passagers, probablement 2 millions cette année au vu des taux de remplissage de cet été. «Ça a été l’horreur, confie la retraitée. On a vu des compagnies qu’on n’avait jamais vues, il y a de nouveaux contrats apparemment. Là, c’est vide, on souffle. Mais on ne peut quand même pas respirer entre deux bateaux…»

Cela fait presque une décennie que Michèle Rauzier et ses voisins, réunis dans l’association Cap au Nord, alertent les autorités sur l’impact du trafic des paquebots géants sur leur quotidien et leur santé. Après les pétitions, les articles de presse, les campagnes indépendantes de mesures de la qualité de l’air, c’est par la voie judiciaire qu’ils ont tenté de formaliser ces maux début mars, en déposant une plainte contre X auprès du parquet de Marseille, pour «mise en danger de la vie d’autrui», «blessures involontaires», «rejets en mer de substances nuisibles pour la flore et la faune marine» et «pollution des eaux». Dans cette initiative, ils sont soutenus par le collectif Stop Croisières, qui a multiplié les actions ces derniers mois et lancé une pétition pour accompagner la plainte, réunissant à ce jour plus de 5 300 signatures. Une précédente pétition, lancée à l’été 2022 par le maire de Marseille pour demander l’interdiction des escales des bateaux les plus polluants avait, elle, été signée par plus de 50 000 personnes.

Un cocktail de pollution pour les habitants

Neuf mois plus tard, sur le front judiciaire aussi, c’est le calme plat. Si le nombre des plaignants a tout de même grandi, avoisinant désormais la cinquantaine de personnes, le parquet n’a toujours pas donné de nouvelles, si ce n’est pour quelques demandes de précisions. «Cela ne veut pas dire que rien ne se passe», se motive Nicolas Chambardon, l’un des avocats qui porte bénévolement la plainte. L’un des enjeux de cette plainte, c’est notamment de mobiliser les moyens de l’Etat pour enquêter et déterminer, dans le cocktail de pollution auquel sont soumis les Marseillais, la part générée par les croisières.

De fait, du côté du parquet de Marseille, on indique qu’un service d’enquête a bien été saisi et que des investigations sont en cours, notamment des contrôles supplémentaires afin de rechercher des navires qui ne seraient pas aux normes. «C’est toute la problématique de cette plainte : nous avons une politique pénale assez ferme en la matière, avec plus de 200 contrôles chaque année, mais nous recherchons des bateaux qui ne respecteraient pas la réglementation. Or, là, c’est la masse des bateaux qui peut avoir des conséquences sanitaires. Si on avait 200 paquebots dans le port et que tous émettaient des fumées en même temps, mais chacun respectant les normes en vigueur, ce serait légal… La difficulté du droit à l’environnement, c’est que ce que dit la loi, c’est autorisé», pointe Michel Sastre, premier vice-procureur en charge des pôles spécialisés, y compris le pôle santé publique environnement et la juridiction du littoral. «Pour autant, précise-t-il, on essaie de trouver des éléments, et si on doit classer le dossier, ce ne sera pas avec une simple croix dans une case, ce sera en motivant la décision, afin d’avoir une démarche pédagogique pour ne pas nourrir un sentiment d’injustice. Mais c’est avant tout une problématique politique et législative.» De quoi laisser voguer la galère un bon moment, tant le sujet divise au niveau national comme local.

L’électrification des quais pour éteindre les moteurs

La dernière initiative en date revient à Hendrik Davi, député LFI de Marseille, qui a déposé fin septembre, avec d’autres parlementaires, une proposition de loi renforçant les contrôles et appliquant aux bateaux de croisières et yachts de luxe le principe du pollueur-payeur, avec l’instauration d’une taxe carbone. Sans grand espoir de la voir aboutir… Le gouvernement, lui, semble plus motivé à pousser l’électrification des quais, qui permettrait aux paquebots de se brancher à quai et donc d’éteindre leurs moteurs. Une mesure votée à l’échelle européenne pour 2030 et appliquée dès 2028 à Marseille, a promis le ministre des Transports, Clément Beaune, de passage à Marseille en juin.

«Au moins, toutes nos actions auront permis que l’on ne soit plus dans le déni comme il y a quelques années, les armateurs prennent eux aussi conscience qu’ils ont un impact, j’ai même vu passer certaines publicités vantant des croisières vertes», relève Michèle Rauzier, qui veut rester optimiste. La retraitée applaudit aussi l’initiative de la municipalité qui vient de lancer une étude épidémiologique afin d’évaluer l’impact sur la santé de la pollution de l’air en ville et constituer un outil d’aide à la décision. Les premiers résultats sont attendus pour février 2025.