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Tribune

Culture et rénovation urbaine : même combat pour la vi(ll)e

La rénovation urbaine, dans son essence, devrait poursuivre le même horizon que la culture : produire des espaces publics vivables, vivants, vibrants… Une tribune de Pascal Le Brun-Cordier, professeur associé à Paris 1.

Le projet Tissage urbain transforme la place Bellecour en un espace de fraîcheur et de convivialité. Une installation artistique temporaire réalisée par l'artiste Romain Froquet, à Lyon, en août 2025. (Albin Bonnard/Hans Lucas. AFP)
Par
Pascal Le Brun-Cordier
professeur associé à Paris 1, directeur de Villes In Vivo
Publié le 11/10/2025 à 22h03

Culture, éducation, justice, information, sciences… Syndeac, le syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, organise en 2025 une série de débats pour souligner le rôle et l’importance des services publics dans la société. Une série d’événements dont Libération est partenaire. Prochain débat, «Culture et rénovation urbaine : un même combat pour l’égalité», le 13 octobre à Valenciennes.

La culture et la rénovation urbaine ne sont pas deux champs séparés ; elles participent d’un même enjeu : rendre le monde plus habitable. L’une agit sur le dur des murs, l’autre sur les imaginaires et les manières de faire. Ensemble, elles peuvent redonner chair à la ville et puissance à ses habitants.

La rénovation urbaine a trop souvent été réduite à une mécanique de démolition reconstruction. Des barres tombent, des immeubles se dressent, mais la vie peine souvent à s’y loger. Or, comme la culture, la rénovation urbaine devrait d’abord viser cela : l’habitabilité du monde, la possibilité de «faire humanité» à l’échelle d’une rue, d’un quartier, d’une ville.

La culture, envisagée comme tissu de productions et de relations qui nous lient aux autres et au monde, fait surgir de manière sensible du sens et du commun. La rénovation urbaine, dans son essence, devrait poursuivre le même horizon : produire des espaces publics vivables, vivants, vibrants, favorables au développement de relations de résonances. Trop souvent pourtant, elle s’est coupée des dynamiques culturelles des quartiers, des habitants, des artistes, de leurs désirs d’agir. Il est temps de renouer les fils du spatial et du social.

L’Anru 3 doit inventer de nouveaux «BTP» pour «Brasser des Temps et des Présences», «Broder des Territoires Poétiques», «Bâtir des Tiers Paysages»… Les murs ne suffisent pas à fabriquer la ville ; il faut aussi y inscrire des usages, des gestes, des récits, soutenir nos attachements au vivant, soigner les dignités, encourager les solidarités. Il est temps de ressortir le rapport Bacqué – Mechmache, d’oser une rénovation urbaine qui soit aussi renouvellement démocratique.

Les artistes ont toute leur place dans cette aventure — à condition qu’ils ne soient pas les décorateurs de fin de chantier, qu’on ne leur demande pas de venir poser des cerises sur le gâteau urbain, mais de contribuer à les mettre dans le gâteau. Ce que j’appelle la stratégie du clafoutis : mêler la création à la pâte même du projet, en amont, dans des enquêtes sensibles conçues en complément des diagnostics classiques, dans les démarches de coconception d’espaces publics plus savoureux, et dans des espaces de vie plus généreux. Leur regard poétique, critique et politique peut devenir un levier d’«empuissancement» collectif, surtout lorsqu’il s’exerce dans l’art en commun. Il contribue ainsi à faire vivre une démocratie plus contributive et hospitalière.

C’est tout cela que nous portons, nous, acteurs de l’urbanisme culturel et faiseurs de villes plus relationnelles, notamment en militant pour l’intégration d’une «clause culture» dans les cahiers des charges des consultations urbaines, pour que 20 % des locaux d’activités économiques et commerciales soient loués au prix des charges à des acteurs culturels, de l’économie sociale et solidaire et de la transition environnementale, ou pour le développement de contrats de résonance…

C’est en faisant des acteurs du champ culturel, artistique et social, des partenaires à part entière de la fabrique des territoires que la rénovation urbaine retrouvera sa promesse : non pas seulement reconstruire ou réparer des quartiers, mais rendre possible qu’on ait envie d’y rester, de contribuer à l’invention de communs désirables et qu’on puisse simplement y vivre mieux.

Pascal Le Brun-Cordier est professeur associé à Paris 1, responsable du Master Projets culturels dans l’espace public, directeur de Villes In Vivo, cofondateur du Mouvement de l’urbanisme culturel, coauteur de La Ville relationnelle. Les 7 figures (Apogée, 2 024).