A l’heure de la transition écologique, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), plongée dans les projets et initiatives qui font bouger les politiques urbaines.
Le sable se soulève par vagues, au rythme des rafales de vent, sur la dune blonde, en bordure de la baie d’Authie (Pas-de-Calais) en cette fin février. Une «dune vive», disent les spécialistes, qui n’est pas colonisée par des plantes, argousiers ou pins maritimes, qui pourraient retenir le sable précieux par leurs racines. Au lieu-dit du bois des Sapins, à la limite de la station balnéaire de Berck-sur-Mer, les grands résineux majestueux ne sont plus nombreux, tombés les uns après les autres, victimes de l’érosion de la dune. Elle est un rempart naturel, fragile, à la submersion marine. Derrière elle s’étendent les terres plates du polder, gagnées sur la mer, et que la mer s’apprête à reprendre. En partie tout du moins. Une digue rétro-littorale a été construite, elle se veut discrète, talus de terre enherbée, avec un soubassement de galets, mais elle protège, en deuxième rideau, les 7 000 habitants du périmètre potentiellement concerné. Pas très haute, elle forme un harmonieux arc de cercle et la balade est agréable, pour qui ne craint pas le crachin, sur le sentier aménagé à son sommet.
Plus l’eau a de place, moins elle est dangereuse
La baie d’Authie fait partie des dix sites pilotes en France retenus dans le cadre du projet Adapto, lancé par le Conservatoire du littoral, et financé dans le cadre du programme Life de l’Union européenne. Il se conjugue avec le programme d’actions de prévention des inondations (Papi), un classique des zones sensibles, généralisé à la suite de la catastrophe de La Faute-sur-Mer, en Vendée, qui, en 2010, a fait 29 morts, après le lâchage d’une digue. C’est dire que cette baie, «une échancrure dans le littoral picard», comme l’appelle joliment Yvan Jacquemin, chargé de mission au Conservatoire, a bénéficié d’un projet aux petits oignons. Elle le mérite : elle est l’estuaire du fleuve côtier dont elle porte le nom, ce qui la soumet à des forces contradictoires. «Comme toutes les baies du monde, elle connaît un phénomène d’ensablement», explique Claude Vilcot, le maire de Groffliers, petite commune au bord de la baie. Surtout dans le fond, au port de la Madelon, chenal profond creusé dans le sable d’où dépassent les mâts de quelques voiliers. La faute aux marées et à l’Authie et ses flots chargés de sédiments. S’ajoute un poulier, créé par les courants marins : une flèche sableuse en embouchure de l’estuaire, qui part de Fort-Mahon et va vers Berck, du sud vers le nord. En face du poulier, son contrepoint, le musoir, la zone d’érosion. Yvan Jacquemin complète : «Le souci, c’est que la ville de Berck a continué de s’étendre, et l’hôpital maritime s’est construit sur l’endroit où il y avait naturellement le musoir. Il s’est donc déplacé vers le bois des Sapins.» De plus, la flèche sableuse qui envahit la baie repousse l’Authie, le fleuve côtier, dans le même coin : il y accentue l’érosion dunaire. Le bois des Sapins est donc devenu stratégique.
Le réchauffement climatique ne peut qu’amplifier ces phénomènes, avec un niveau de la mer qui augmente, et des pluies importantes à l’origine des crues. Si le fleuve n’arrive plus à se jeter à la mer, à cause de l’ensablement, il va déborder encore plus. Il fallait donc agir. D’abord surveiller le cordon dunaire comme le lait sur le feu, et le recharger en sable s’il descend sous les 8 mètres. Ensuite construire la digue rétro-littorale, à l’intérieur des terres, pour laisser la mer s’étendre si elle ébrèche la dune et passe. Plus elle a de place, moins l’eau est dangereuse.
Acceptation sociale
C’est pour cela que le Conservatoire du littoral rachète des terrains, certains agricoles, dans la baie. «On étudie la possibilité de faire entrer la mer là où les espaces sont sans risque pour les biens et les populations», explique Yvan Jacquemin. Endiguer à une certaine distance du trait de côte est important : l’eau aura la liberté d’aller et venir sur ces terres libérées. Sans montrer la violence qu’elle peut avoir les jours de tempête contre une digue en béton, en bordure de littoral.
Mais redonner des marges à la nature pour protéger les hommes passe par une acceptation sociale : faire valoir auprès du monde agricole la richesse des prés-salés, salicornes et pâturages d’agneaux par exemple, ou éduquer les populations à la culture du risque. La communauté d’agglomération des Deux Baies en Montreuillois (qui recouvre la partie nord de la baie) propose ainsi la démarche «pieds au sec», un diagnostic gratuit des maisons, pour vérifier leur capacité à résister à une inondation. Initiative que trouve intéressante Valérie Lavaud-Letilleul, professeure à l’université Montpellier-III, qui travaille à un ouvrage Popsu sur le syndrome du Titanic des métropoles littorales. Elle y développe un autre récit politique sur le littoral, jusque-là seul objet de désir, mais critique cette notion d’acceptabilité sociale du risque : «Elle place les habitants dans une logique de passivité. D’un côté, il y a les experts, les institutionnels ; de l’autre, ceux qui vont devoir peut-être partir avec l’idée qu’ils sont dans le déni.» En fait, l’universitaire constate dans ses recherches que les habitants sont lucides sur le risque : «Ils rappellent que s’ils habitent là, c’est qu’on les a autorisés à le faire, avec des permis de construire. Il y a donc une responsabilité mutuelle. Ensuite, s’il faut partir, comment le faire ? Qui paye ? Dans quelle temporalité ?» Il y a donc un dialogue à entamer avec les populations. Elles connaissent leur territoire, pêcheurs à pied et agriculteurs dans la baie d’Authie, par exemple. Valérie Lavaud-Letilleul l’affirme : «On ne pourra pas faire sans solutions collectives.»