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Libération
Les 10 ans du Vrac : reportage

Dans la Drôme, l’épicerie solidaire qui «crée du lien» au pied des montagnes

Dans le Diois, région montagneuse en proie à de grandes inégalités, la présence du réseau de distribution solidaire Vrac permet aux habitants de consommer plus sain pour moins cher, et limite le recours aux grandes enseignes.
Nathalie Alard, la directrice de Vrac Drôme. (Benjamin Béchet/Libération)
par Maïté Darnault, envoyée spéciale à Die (Drôme)
publié le 4 juillet 2023 à 9h24
Comment fournir une alimentation durable et de qualité à toutes et tous ? Enquêtes, portraits, témoignages et reportages... Un dossier réalisé en partenariat avec l’association «Vers un réseau d’achat en commun» à l’occasion de ses 10 ans.

Une chaîne humaine se crée à la hâte pour monter les denrées d’un étage. Dans moins d’une demi-heure, les adhérents vont arriver avec bocaux vides, sachets en tissu et cabas pour récupérer leurs commandes. Ce vendredi 16 juin, c’est la dernière distribution de la saison du réseau Vrac à Die. Dans cette ville de 5 000 habitants de la Drôme, le groupement d’achat se met en pause durant l’été, compte tenu des absences des adhérents ou des bénévoles. Ils sont parfois les deux à la fois, passant d’un côté à l’autre du comptoir lorsqu’il faut installer l’«épicerie éphémère» mensuelle. Nomade, elle se balade entre salles municipales et lieux associatifs. Ce jour-là, on la retrouve à l’Espace social et culturel du Diois.

Huiles, moutarde et sel, fruits secs, «petit-déjeuner», «boulangerie», légumes secs et céréales, pâtes, riz et farines ou «hygiène» : les produits sont répartis sur des tables distinctes dans de grands contenants. Chacun va peser puis récupérer la quantité exacte qu’il a commandée. Nathalie Alard, directrice de Vrac Drôme, propose à la cantonade un «petit point avant de démarrer» : «Tout le monde sait faire les tares sur les balances ?» Hochements de tête. «Attention à ce que rien ne touche le plateau pour ne pas fausser le poids, et on se lave les mains avant de faire la distribution !» Une poignée de personnes commencent à faire la queue à l’entrée de la pièce.

Tarif social et adhésion à 20 euros par an

Vrac Drôme compte à ce jour 430 adhérents, dont 165 dans le groupement de Die, lancé en juin 2021. Il existe trois autres collectifs dans le département. Et, d’ici à la fin de l’année, deux nouveaux devraient voir le jour. Hormis ceux des quartiers populaires de Fontbarlettes à Valence et Saint-Nicolas à Romans-sur-Isère, ces groupements se trouvent en milieu rural. C’est une singularité au sein du maillage national de Vrac, né et principalement développé en zone urbaine. Dans la Drôme, l’adhésion fonctionne selon un principe à deux niveaux : les foyers soumis aux minima sociaux paient une cotisation de 1 euro et achètent leur nourriture à prix coûtant. Pour les autres, le ticket d’entrée est à 20 euros par an et une marge de 15 % s’applique à la note finale.

Ce dernier tarif, dit «solidaire», convient à Raphaël, 37 ans. Même ainsi, cet auteur-réalisateur, qui vit à Die depuis trois ans, peut consommer des «produits bio de super qualité à peu près 30 % moins chers qu’en magasin spécialisé». Et sans emballage superflu, souligne en remplissant un grand pot d’amandes celui qui est «dans une démarche zéro déchet». German, 32 ans, a donné un coup de main à Vrac dès son démarrage ici. Il a fait ses comptes en 2022 : ses achats via le réseau lui ont permis d’économiser plusieurs centaines d’euros sur l’année. «Je n’ai jamais trop de ressources mais je veux bien manger, explique cet Espagnol, Diois depuis dix ans. Pouvoir se passer d’intermédiaires, ça fait partie de l’évolution des consciences. Et on se recroise dans la rue, on se salue, ça crée des liens.»

Un territoire vaste et difficile d’accès

Diététicien nutritionniste, German peine à développer son activité dans cette petite ville où le taux de pauvreté était, selon l’Insee, de 17 % en 2020, soit près de trois points au-dessus de la moyenne nationale. Le Diois est une région montagneuse, à cheval sur le massif du Vercors et les prémices de la Drôme provençale. Elle regroupe 12 000 habitants sur un territoire vaste et parfois difficile d’accès. La population, éparse, doit faire face à des inégalités importantes. Ici, le dénuement est «diffus, parfois plus caché qu’en ville car se rajoutent les difficultés de mobilité, de logement, d’insalubrité et de précarité énergétique», souligne Nathalie Alard, directrice de Vrac Drôme.

Pour venir de son village, Saint-Nazaire-le-Désert, Anne-Laure doit faire trois quarts d’heure de route. La quinquagénaire se rend à Die avec une voisine une fois par mois pour les courses. Anne-Laure peine à joindre les deux bouts avec son allocation d’adulte handicapée. Mais Vrac lui redonne le sourire. Elle hésite pour désigner son produit préféré : «La moutarde, les céréales ou l’huile d’olive… J’aime tout ! S’il y a des fruits frais, j’en profite. Ma voisine prend beaucoup de petits gâteaux, ils sont délicieux. Et après, on complète chez Lidl, on ne peut pas faire autrement.» A Saint-Nazaire, il y a une petite épicerie. «Mais c’est pour les touristes de passage, même pour du dépannage, c’est trop cher pour moi», constate Anne-Laure. Elle attend avec impatience l’arrivée de Vrac Mobile, une tournée de distribution à la rencontre des habitants isolés du Haut-Diois. La première livraison pourrait avoir lieu avant la fin de l’année.