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Libération
Climat Libé Tour : reportage

Dans la zone industrielle de Martigues, on traque le lichen pour évaluer la qualité de l’air

Sur le GR 2013, au cœur de la métropole d’Aix-Marseille, des associations organisent des randonnées écologiques lors desquelles les promeneurs partent à la recherche de ces organismes sensibles à la pollution.
Le site pétrochimique de Lavéra, à Martigues. (Matthieu Collin/Divergence)
par Maud Mathias
publié le 19 octobre 2024 à 10h02

Pour la cinquième étape du Climat Libé Tour 2024, Libé fait étape à Marseille le samedi 19 octobre (entrée libre sur inscription).

D’un côté, la garrigue parsemée de sentiers pierreux et d’arbres calcinés ; de l’autre, sous un ciel plombé, les pylônes et cheminées de la zone industrielle de Martigues. Les usines des secteurs du gaz, de la pétrochimie ou de l’électricité font partie intégrante du paysage martégal, et laissent flotter une discrète mais persistante odeur de soufre dans l’air. «Ça fait un peu dystopique», concède Audrey Souloumiac, responsable de l’Observatoire citoyen de l’environnement, institut participatif spécialisé dans l’étude de l’air, de l’eau et du sol dans la métropole d’Aix-Marseille. Le bruit est incessant : grésillements, bourdonnements, sonneries retentissent sans cesse. Une alarme provoque une légère inquiétude chez la dizaine de promeneurs, âgés de 25 à 73 ans : «On n’avait pas prévu les masques à gaz», plaisante Marielle Agboton, membre du bureau des guides du GR 2013, qui accompagne la scientifique dans l’animation de la balade.

La zone industrielle de Martigues n’est certes pas réputée pour la beauté de ses paysages, mais la campagne environnante doit permettre de comprendre la manière dont «les lichens témoignent de la qualité de l’air», annonce Audrey Souloumiac. Le lieu est sillonné par le tracé du GR 2013, sentier de randonnée qui relie 38 communes de la métropole d’Aix-Marseille. Le bureau des guides de ce sentier y organise régulièrement des balades thématiques pour découvrir les mystères du territoire.

Les lichens, «des indicateurs de biosurveillance»

Premier arrêt dans le parc à jeux de la cité Arc-en-ciel, construite dans les années 60 pour héberger les ouvriers du coin. Ce site est utilisé par l’Observatoire citoyen de l’environnement comme une «placette», un lieu où la variété des lichens présents est régulièrement vérifiée. «Les lichens se nourrissent de l’air, ils sont particulièrement sensibles à sa qualité. Ce sont des indicateurs de biosurveillance», explique Audrey Souloumiac.

Munis de loupes, les participants se dispersent à leur recherche. «Vous les voyez tout le temps, mais vous pensez que ce sont des chewing-gums incrustés», sourit la responsable de l’institut. S’ils sont nombreux, cela ne suffit pas à affirmer que l’air de la zone est sain : «C’est la présence de certains types de lichens qui jauge la qualité de l’air. D’autres résistent très bien à la pollution», précise Audrey Souloumiac, avant d’ajouter qu’il y a «20 000 espèces de lichen dans le monde, plus de 2 000 en France, et seulement 65 dans la métropole d’Aix-Marseille. On est dans une région très polluée, on ne va pas se mentir.» Un brouillard blanchâtre recouvre la vallée, et ce smog permanent est dû à l’activité des usines. «J’ai trouvé un Xanthoria parietinalance un promeneur sous l’œil approbateur de la scientifique.

«C’est beau et sinistre à la fois»

Les randonneurs s’enfoncent dans la garrigue. Le vent souffle dans le bon sens et charrie l’odeur mielleuse des alyssons maritimes qui jonchent le vallon. D’ici, on ne distingue même plus les cheminées rouge et blanc, seulement les collines bordées de fascines. «C’est beau et sinistre à la fois», soupire une marcheuse. En 2020, le paysage a été ravagé sur 1 000 hectares par un incendie qui a parcouru plus de 8 kilomètres : «C’est quasiment ce qu’on a marché jusqu’à présent», annonce Marielle Agboton. «La combustion génère des polluants qui font fortement chuter l’abondance des lichens. C’est un cercle vicieux : ça brûle, on n’a plus de lichens pour mesurer la qualité de l’air, puis ça rebrûle», explique Audrey Souloumiac.

Après être venus à bout des collines, dernière étape de la journée à la gare de La Couronne-Carro, après avoir crapahuté plus de 10 kilomètres. Les guides distribuent les échelles en papier utilisées par les scientifiques pour les relevés. Le graal ? Trouver des lichens fruticuleux, une sous-catégorie de ces organismes dont la présence annonce un air de bonne qualité. Sans grande surprise, la quête fait chou blanc. Seuls sont trouvés quelques malheureux lichens crustacés, qui font partie des «particulièrement résistants», d’après la scientifique. Marielle Agboton, toujours pleine d’entrain malgré la marche : «Ils sont capables de se développer partout et dans toutes les conditions, comme les humains. En fin de compte, nous sommes un peu tous des lichens.»