A l’heure de la transition écologique, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), plongée dans les projets et initiatives qui font bouger les politiques urbaines.
Corons et mineurs de fond : coincé entre Pierre Bachelet et Emile Zola, le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais a pris cher, question image d’Epinal. «Les gens arrivent sur le territoire, ils veulent retrouver Germinal», soupire Catherine Bertram, directrice de la Mission bassin minier. Le gris du ciel, le noir des terrils, ces résidus d’extraction entassés à main d’homme qui hérissent le paysage, la fierté ouvrière, mâtinée de la douleur du labeur… Avec ses collaboratrices, Catherine O’Miel et Marie Patou, elle se bat depuis plus de vingt ans pour changer cet imaginaire, à la vérité historique certaine, mais qui a tout d’un costard trop étriqué. Surtout dans un territoire où le récit national de l’épopée du charbon s’est écroulé face à la désindustrialisation et ses conséquences, chômage et pauvreté, avec un fort sentiment d’abandon de la population.
La première bataille gagnée a été l’inscription de ce bassin minier au patrimoine mondial par l’Unesco, au titre de paysage culturel évolutif vivant, racontent-elles. Car tout a failli être rasé, pour devenir la grande banlieue de la métropole lilloise. La date est à marquer d’une pierre blanche : le 30 juin 2012. Jean-François Caron, alors maire écolo de Loos-en-Gohelle et porteur de ce projet fou, résume dans un discours le renversement de table : «L’idée même que l’histoire des mineurs vaut celle des rois change tout.» Les cathédrales gothiques côtoient désormais les cathédrales industrielles, de briques et d’acier. «Ce classement veut dire que le patrimoine ici raconte un bout de l’histoire de l’humanité», insiste-t-on à la Mission bassin minier. Et le regard sur soi change, dans l’intime des foyers, quand la maison habitée, héritage des mines, est considérée et classée.
Le rouge vif de la brique
Justement, un coron : le plus ancien du Pas-de-Calais, construit entre 1856 et 1861, habité jusqu’en 2013, à Bruay-la-Buissière. Il a une renommée cinématographique, celle de Bienvenue chez les Ch’tis de Dany Boon, où il est montré dans son jus, délabré, toilettes à l’extérieur. Le cliché misérabiliste. Depuis, la Cité des électriciens a été entièrement restaurée par Philippe Prost, architecte et urbaniste, en lieu hybride, avec logements sociaux, résidences d’artistes, gîtes touristiques et salles d’exposition. «Les gens viennent ici sur la nostalgie du coron, avec dans la tête les gravures en noir et blanc du XIXe siècle, ou la photographie humaniste à la Cartier-Bresson», pose Olivier Thierry, le directeur de la Cité des électriciens. En fait, les visiteurs se prennent d’entrée une claque de couleur, le rouge vif, explosif, de la brique des maisonnettes alignées. Et découvrent le jardin potager, le poulailler et le clapier, nécessaires compléments de subsistance. On vivait souvent dehors, dans les corons, à l’encontre des idées reçues. Les maisons étroites, 30 m² habitables, hébergeaient souvent une dizaine de personnes, de différentes générations. Alors, on jardinait, on allait au stade, on tirait sa chaise dehors pour parler entre voisines. «Ici, on peut faire l’expérience de ce qu’est habiter une cité ouvrière», explique Olivier Thierry. Sans tralala, avec droit de s’asseoir partout, et de feuilleter le livret du mineur posé là, à côté des barils de lessive en carton.
Sur un mur de la Cité des électriciens, elle vous regarde droit dans les yeux, la femme de mineur, bigoudis dans les cheveux, gants de caoutchouc blanc, jupe à carreaux moutarde, balai à la main. Tirée à quatre épingles, pour ce rituel du samedi matin dans les cités minières, le nettoyage du ruisseau. La photo, issue d’un reportage de l’Anglais John Bulmer pour le Sunday Times, date de 1966. Le téléphone a vite sonné : on avait reconnu la dame, Gertrude Ruminski, habitante de Courcelles-lès-Lens.
Un mur de canevas
C’est comme cela qu’on tisse de la fierté. Béatrice Mariolle, directrice scientifique de la chaire «Acclimater les territoires post-miniers» à l’Ecole nationale supérieure d’architecture et de paysage (l’Ensap de Lille) approuve : «Le potentiel qu’offre l’Unesco, c’est que les habitants prennent conscience de la valeur de leur patrimoine, matériel et immatériel.» La Cité des électriciens l’a vérifié, avec un canevas à broder. Il représente une gueule noire casquée, chevalement en arrière-plan. «La belle-fille l’offrait à son beau-père au moment de ses fiançailles», rappelle Olivier Thierry. Un appel a été lancé aux lecteurs de la Voix du Nord : acceptaient-ils de donner ou prêter pour une exposition l’œuvre modeste, qu’elle soit accrochée encore au salon ou rangée au grenier ? Il y a eu 200 réponses. Le résultat est là, un mur entier de canevas tous pareils et infiniment différents, symboles d’heures de patience et de plus ou moins grande adresse. Tous racontant un bout d’histoire de famille, qui font patrimoine. Malicieuse, l’architecte-urbaniste Alice Hallynck, qui recrée des modèles de brise-bise, ces petits rideaux au crochet ou en dentelle, a travaillé deux décors : l’un se reconnaît immédiatement, le terril Sainte Henriette, visible de l’autoroute A1, icône du bassin minier. L’autre paysage oblige à creuser sa mémoire, mais de quels terrils s’agit-il ? Ce sont en fait… les pyramides de Gizeh, vue d’une banlieue du Caire.
Pour Lucas Monsaingeon, architecte, qui vient de soutenir une thèse sur le bassin minier, la Cité des électriciens est un démonstrateur, pour changer les imaginaires : «On se dit qu’on s’y verrait y vivre. Le coron n’est plus un lieu sinistre qu’il faudrait raser, il a des qualités potentielles, avec son rapport au jardin, estime-t-il. C’est une idée qui infuse.» 124 cités minières, qui sont toujours aujourd’hui des logements sociaux (gérés par le bailleur Maisons et cités), sont classées sur la liste du patrimoine mondial.