Comment les collectivités territoriales font-elles face aux défis environnementaux ? Quels moyens et quelles formations pour intégrer les impératifs écologiques au sein du service public local ? Un dossier réalisé en partenariat avec le Centre national de la fonction publique territoriale à l’occasion du colloque organisé à Bordeaux les 14 et 15 mars.
Ce 28 février, sous un grand soleil, la station jurassienne de Métabief est bondée. L’enneigement cumulé cette année n’est pourtant que le tiers de celui d’un hiver traditionnel, il n’est pas tombé le moindre flocon depuis plus d’un mois et la quasi-totalité de la neige naturelle a fondu au fil du mois de février. Peu importe, la «neige de culture» fait des miracles : 12 des 41 pistes de la station sont encore ouvertes, des rubans blancs de neige à canon soigneusement entretenue et tassée qui ramènent, au milieu de l’herbe, les skieurs plutôt satisfaits jusqu’au pied de la station, à 1 000 mètres d’altitude.
Métabief s’est doté des outils pour couvrir plus du tiers de son domaine en neige de culture – une usine à neige performante et 200 000 m³ d’eau disponible – tandis que les clients «sont de moins en moins déçus du manque de neige, tant ils comprennent nos contraintes, et se montrent de plus en plus friands des activités connexes», souligne le directeur de l’office du tourisme du Haut-Doubs, Julien Vrignon. Même si la station, ouverte tard en décembre, a dû être fermée trois semaines en janvier, faute de poudreuse, la fréquentation a battu des records durant les vacances de février et les week-ends ont fait le plein grâce à la clientèle locale, fournie et opportuniste, qui se rue ici depuis Pontarlier, Besançon et la Suisse toute proche. Le chiffre d’affaires de l’exploitant des pistes et remontées, le syndicat mixte du mont d’Or (SMMO), réunissant le conseil départemental du Doubs et la communauté de communes des Lacs et Montagnes du Haut-Doubs – 32 communes dont Métabief –, devrait rester équivalent cette année à celui d’une année moyenne, à 3,5 millions d’euros.
Une décision rarissime
Face à cet hiver exceptionnel, qui laisse entrevoir les bouleversements futurs liés au réchauffement climatique, Métabief semble montrer une belle capacité de résistance. Qu’on ne s’y trompe pas : son résultat ne permet au SMMO que la couverture de ses coûts d’exploitation. Il manquera cette année encore 1,3 million d’euros pour l’amortissement de sa dette, charge assumée par les collectivités. C’est le poids de cette dette de 16 millions, contractée notamment pour l’équipement en neige de culture, qui a fait basculer le SMMO et le département dans une démarche de transition.
Le remplacement de remontées anciennes aurait nécessité un nouvel investissement de 15 millions d’euros. Fallait-il creuser encore la dette ? Le SMMO commande en 2016 des études scientifiques, dont les résultats sans appel provoquent un choc : non seulement les perspectives climatiques ne permettent plus d’activité économique «ski alpin» après 2040, mais dès la décennie 2030-2040, seules les pistes équipées en neige de culture pourront fonctionner, avec un fort aléa et sans permettre d’équilibrer les comptes. Le modèle économique n’est plus tenable : en 2020, à l’issue d’un processus de deuil, le SMMO, suivi de près par le conseil départemental, acte «une fin du ski alpin» à Métabief entre 2030 et 2035. Une décision iconoclaste qui reste rarissime.
Métabief est ainsi devenu un territoire pilote, scruté par le secteur des sports d’hiver. Oliver Erard prend la tête, au sein du SMMO, d’un pôle d’ingénierie chargé d’engager la transition du Pays du Haut Doubs, groupement des cinq communautés de communes montagnardes du département. Les premières décisions sont structurelles. Le département amène une nouvelle enveloppe de 11 millions d’euros à la station. Premier objectif, un plan de maintenance poussé du matériel existant, assuré par les équipes du SMMO, afin de «maintenir le ski le plus longtemps possible», précise Olivier Erard, sans nouvelles remontées ou pistes. Second objectif, engager la transformation de Métabief en «station de montagne toutes saisons», avec une nouvelle piste de luge sur rail, entrée en fonction l’été dernier et qui tient déjà ses promesses de fréquentation, et la construction d’un pôle montagne, bâtiment écologiquement vertueux en lieu et place des locaux vieillots d’accueil du public au pied de la station, appelé à regrouper tous les professionnels de l’outdoor, hiver comme été.
«Le territoire fera la station»
Le chantier le plus complexe reste pourtant d’embarquer tous les acteurs, collectivités, institutions, privés, dans une démarche inédite, «une intelligence collective» à même de «faire émerger une économie alternative», résume Olivier Erard, sur la base d’un scénario où ne subsisterait de la station qu’un télésiège, le plus récent, et la luge sur rail… L’Etat, dans le cadre de son plan national «Avenir montagnes» post-Covid, finance un salaire d’ingénierie essentiel pour animer cette démarche. Claire Leboisselier, à ce poste depuis janvier 2022 au sein du SMMO, a vu le processus faire de «grand pas». Le déni sur le réchauffement climatique a quasiment disparu, celui sur la nécessité de bouleverser le modèle économique se réduit : au sein du comité de pilotage créé cette année, «nous avons énormément travaillé, on s’est parlé, le nombre d’acteurs volontaires s’est élargi : c’est très encourageant», se félicite la cheffe de projet de transition touristique.
En avril, la conception collective d’un «masterplan» va débuter, traçant des orientations à l’horizon 2040-2050, ainsi qu’un premier plan d’actions pour 2024-2028 : 200 acteurs du territoire sont conviés et vont travailler par groupes thématiques : «Ce n’est plus la station qui fera le territoire, comme autrefois, mais le territoire qui fera la station, résume Claire Leboisselier. Aucune activité ne sera aussi rentable que le ski, donc il faut trouver ce qui fera venir les gens ici, ce qui fera travailler les habitants et animera leur vie quotidienne. Au-delà de l’économie, c’est une identité à redéfinir.»
A la mairie de Métabief, l’inamovible maire LR Gérard Dèque continue de regretter, comme nombre de socioprofessionnels et élus, «une mauvaise communication» du SMMO, qui en annonçant la fin du ski aurait pénalisé son maintien. Il assure néanmoins qu’il y a «consensus au sein de l’équipe municipale sur l’idée qu’il faut faire cette mutation : nous sommes en phase avec le processus engagé». Quid du slogan de l’Association nationale des maires de stations de montagne : «Sans le ski, tout est fini» ? Il sourit : «Pas chez nous. Sans le ski, on fera ! Nous avons un potentiel énorme, je suis serein.»