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Libération
Reportage

Dans le Pas-de-Calais, les cabinets éphémères, oasis dans le désert médical

Comment renouveler notre pacte social ?dossier
Internes et jeunes médecins apprécient la «liberté» offerte d’exercer quelques temps ou à mi-temps dans des territoires où les habitants souffrent du manque de soignants.
«Les jeunes n’ont pas envie de se marier avec un cabinet. Ils ne savent pas ce qu’ils vont faire dans cinq ans et on leur demande de s’ancrer pour des années», explique le pharmacien Sébastien Zanetti. (Luis Alvarez/Getty Images)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 16 avril 2025 à 6h56

Face à la défiance des citoyens vis-à-vis de l’Etat, des institutions ou de la politique, quel rôle peuvent jouer les collectivités locales ? Tel était l’objet d’un colloque organisé à Rouen par le Centre national de la fonction publique territoriale. Un événement dont Libération est partenaire.

C’est un cabinet médical comme les autres, dans une rue passante du centre-ville de Bully-les-Mines (Pas-de-Calais), 12 221 habitants près de Lens, avec sa plaque, la secrétaire affable, et les patients qui arrivent un peu en avance, pour les consultations de 14 heures. Pourtant, son existence est un petit miracle de partenariat, dans un bassin minier où les médecins se font rares. «Nous avions trois généralistes qui partaient à la retraite sur deux ans, entre 2021 et 2022, rapporte Sébastien Zanetti, pharmacien. Des gens nous sollicitaient quotidiennement, nous demandaient si nous connaissions un médecin qui prenait encore des gens.»

Nathalie Blanquet, adjointe à solidarité et à la santé à la mairie de Bully, confirme l’importance de l’enjeu : «A la sortie du Covid, les gens ne consultaient pas, il y avait une renonciation totale aux soins. Cela s’ajoutait à la désertification médicale : il était indispensable de nous poser et de réfléchir.» La mairie n’avait pas les moyens de salarier des médecins. Il fallait trouver plus innovant.

Maintenir l’offre de soins

La municipalité se tourne alors vers la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) Liévin-Pays d’Artois, dont Sébastien Zanetti est membre. Ce réseau de professionnels de santé est financé par l’agence régionale de santé et la CPAM. Il en existe partout en France. «Nous organisons des solutions pour les populations sur un besoin identifié», explique le coordinateur du réseau, Ryad Maudarbaccus. Justement, il a une expérimentation sous la main, menée à Mazingarbe, tout près de Bully, qu’il est possible de dupliquer. L’idée : ouvrir un cabinet médical éphémère, qui peut perdurer si affinités. Une offre sur mesure pour des jeunes internes, qui ont envie de s’installer en libéral, mais pas de s’engager à vie dans le même coin de France, comme cela se faisait dans le temps. Tant pis s’il y a un turn-over, le préavis de six mois est suffisant pour retrouver un praticien, et maintenir l’offre de soins.

Sébastien Zanetti abonde : «Les jeunes n’ont pas envie de se marier avec un cabinet. Ils ne savent pas ce qu’ils vont faire dans cinq ans et on leur demande de s’ancrer pour des années.» Honorine Dequiedt, l’une des généralistes du cabinet, l’écoute, l’œil pétillant. «Ce qui est vrai pour notre génération, c’est que la vision des métiers a changé, reprend-elle. Je trouve cela génial d’être médecin de famille, mais il n’est plus vraiment possible de dire à des patients : “Je suis votre médecin à la vie, à la mort.”» Ici, dans ce cabinet de «médecine générale avancée», l’appellation officielle du dispositif, elle apprécie de «tester les choses, en toute transparence pour les patients.»

«Vous ne vous sentez pas tout seul»

Honorine Dequiedt est arrivée en décembre 2023 et s’est engagée à l’origine pour une durée minimale d’un an, en partageant un temps plein avec une consœur. Depuis, elles ont reçu 1 200 patients. La mairie a acquis les locaux, les a aménagés et met à disposition une secrétaire médicale. La CPTS offre ses conseils, a investi dans le système informatique, fait jouer son réseau pour trouver des jeunes médecins, qu’elle accueille. «Quand vous arrivez sur le territoire, vous ne vous sentez pas tout seul», apprécie Honorine Dequiedt, pour qui «ce qui fait vraiment peur, c’est le côté logistique quand on s’installe. On a zéro cours de comptabilité pendant nos études.»

Deux autres médecins, qui viennent de terminer leur internat, ont rejoint le cabinet en novembre 2024. Louisa Lasri, 27 ans, et Nicolas Lecigne, 28 ans, tous les deux originaires du bassin minier, en ont entendu parler par le bouche à oreille. «C’est la liberté qu’on nous offre que j’apprécie, témoigne Nicolas Lecigne. Je me dis que je pourrais, dans quelque temps, avoir un mi-temps en ville, un mi-temps à l’hôpital.»

Pourtant, quand les institutions ont eu vent de ce dispositif à engagement limité pour les médecins, «les yeux se sont écarquillés», témoigne le président du CPTS Liévin-Pays d’Artois, le docteur Tayssir El Masri. Il a fallu convaincre. Dans la salle d’attente, les patients, eux, sont soulagés : tous, sans exception, étaient à la recherche d’un médecin traitant, après le départ à la retraite de leur généraliste. Caroline, 49 ans, employée dans les écoles, ne craint pas le turn-over des praticiens : «On préfère que ce soient les mêmes qui nous accompagnent, mais tant qu’il y a un médecin !»