Le bruit du ballon de basket cogne contre les murs du bâtiment de soins et le balcon des chambres. Son rebond se propage dans le parc de l’hôpital Renée-Sabran de Hyères (Var). Pas de coup de sifflet : ce simple écho indique à Anaïs Hocine, patiente au centre, que le match a commencé. Chaque semaine, une rencontre de handibasket est organisée entre soignants et patients. Anaïs Hocine se dépêche avec sa béquille. Elle rejoint le bord du terrain et s’assoit dans un fauteuil. Elle commence à rouler. Le premier panier vient d’être marqué…
Personne ne sait vraiment quand les lignes ont été tracées, ni qui a eu cette idée d’implanter les deux paniers. Le terrain donne l’impression d’avoir toujours existé au milieu de l’hôpital. L’établissement varois est spécialisé en rééducation et en réadaptation. Les lésions médullaires, ces traumatismes de la moelle épinière, sont prises en charge par des médecins, des kinés, des ergothérapeutes, des animateurs. Le terrain est un outil. Le basket peut faire partie de la thérapie.
C’est un «gros accident de moto» qui est venu «gâcher la vie» d’Anaïs Hocine. Cette ancienne chauffeur routière a passé deux ans à l’hôpital, six mois dans un fauteuil. La fenêtre de sa chambre a une vue plongeante sur le terrain de basket. «Je me languissais d’essayer, se souvient la patiente de 42 ans. Car je suis sportive. Avant, je faisais du ski et de la gym.» Elle doit attendre les opérations, la cicatrisation, la rééducation. A Renée-Sabran, c’est le médecin qui donne le feu vert pour le handibasket. La jambe «consolidée», Anaïs Hocine entre en jeu. «La première fois, mon cardio est monté à fond, mon corps a transpiré, mon tee-shirt était trempé, débriefe-t-elle. J’ai retrouvé ces sensations alors que je pensais que j’avais foutu ma vie en l’air.» Aujourd’hui, Anaïs Hocine revient en hospitalisation de jour trois fois par semaine. Elle s’est mise au snorkeling, au kayak. Elle continue le basket-fauteuil avec sa jambe «rafistolée» : «Je n’ai pas trouvé d’autre sport où je me dépense autant, dit-elle. Avant, j’avais un regard très restreint sur le handicap. Je le vis comme une renaissance.»
«Ma seconde vie»
Sous les paniers, on ne compte plus les points. Les contre-attaques s’enchaînent. Les bras poussent sur les roues pour avancer, les mains retrouvent leur dextérité pour shooter. Les règles sont les mêmes qu’au basket. La taille du terrain et la hauteur de l’arceau sont inchangées. L’adaptation concerne le «marcher» : le joueur a le droit à deux «poussées de roues» entre chaque dribble ou passe. Des points de 1 à 5 sont attribués en fonction du handicap de chaque joueur.
Jérôme Duran, 24 ans, est évalué à 2 points. C’est incontestablement le meilleur joueur sur le terrain. «Le sport m’a sauvé la vie, dit-il d’emblée. Le basket, c’est toute ma seconde vie.» Jérôme Duran était bûcheron élagueur quand il devient paraplégique après un accident de moto en 2005. Il n’avait jamais fait de sport collectif, ni manié la balle orange. Après un an d’hospitalisation, il essaie le handibasket à Renée-Sabran. «Au début, j’étais réticent car je ne pensais qu’à retrouver la marche. Faire du handibasket, c’est accepter le fauteuil, expose-t-il. Mais ça m’a plu tout de suite. C’est un sport complet avec de la tactique et un côté très physique.» Six mois plus tard, Jérôme Duran intègre le club d’handibasket de Hyères. «Comme tout sportif, certains joueurs ont cette force de travail pour progresser et incorporer l’équipe première et le haut niveau», analyse le manager général Jérôme Mugnaini. Le Hyères HB a été créé en lien avec l’hôpital en 1981. L’hôpital est un vivier de handibasketteurs: aujourd’hui, deux joueurs de l’équipe 1 et la plupart de l’effectif de l’équipe 2 viennent de Renée-Sabran.
La progression de Jérôme Duran est fulgurante. En 2010, il est sélectionné en équipe de France et devient dans la foulée vice-champion du monde. «Je me suis lancé à fond, expose le meneur dans son sweat bleu. J’ai essayé d’aller le plus loin possible.» Dix-neuf ans après son accident, Jérôme Duran participe à ses premiers Jeux paralympiques à Paris. Une fierté pour l’établissement. Le temps d’un été, le terrain de basket se mue en fan zone, avec grand écran pour suivre ses dribbles.
Tapes dans le dos
Le terrain de basket est un point de ralliement. Les soignants prennent leur pause déjeuner, les internes s’essayent au basket-fauteuil. Veysal Koken est externe en chirurgie orthopédique. «C’est une autre facette de l’accompagnement. Le soin, ce n’est pas que des médicaments, estime-t-il, revenu sur la touche. Ici, c’est une dose d’endorphine, un groupe d’entraide, un apport physique, mental, social.» Veysal Koken est entouré de fauteuils roulants dans son service. Par «peur», l’étudiant en médecine ne s’y était jamais assis. C’est la première fois ce midi. Il a joué avec les patients et anciens patients. Des barrières tombent. «C’est un moment hors soin. Cela permet d’avoir une proximité, un équilibre des rôles, remarque la médecin Pauline Zini, en sortant du terrain. On est tous en fauteuil, on a tous les mêmes règles, et les patients sont meilleurs. Ils nous mettent une piquette.» Le basket, c’est aussi des contacts et des duels. Un joueur bascule sur le terrain. Il se retrouve les quatre roues en l’air. «Il n’y a jamais eu de grosses blessures, rassure la docteure qui, comme tout le monde, s’est déjà tordu un doigt. Sans ce terrain, le centre ne serait pas le même.»
Jérôme Duran est passé de l’autre côté. Le patient est désormais salarié de l’hôpital. En 2011, il devient animateur au service de médecine physique et de réadaptation. «Mon rôle, c’est de discuter avec les patients. Je veux montrer que la vie continue, formule-t-il. Les patients voient que je suis arrivé à être quelqu’un d’épanoui, qui a un métier, un sport, une vie de famille.» Il incite à tester le handibasket (ou tout autre sport : le handbike, le kayak, le paddle et le ping-pong sont proposés), qui améliore la musculation et le maniement du fauteuil. Jérôme Duran bénéficie d’une convention professionnelle pour l’aménagement de ses horaires de sportif de haut niveau. Après le match, il filera à l’entraînement avec son club de Hyères. Anaïs Hocine, elle reviendra chaque semaine, entre deux soins.
La médecin, les ergothérapeutes et les internes retournent dans leurs services. Ils auraient bien continué un quart-temps supplémentaire. Mais c’est la fin du temps réglementaire. Sous le panier, les tapes dans les mains remplacent le rebond sur le terrain.