Comment réconcilier métropoles et campagnes, périphéries et centres-villes, écologie et habitat ? Plongée, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) dans les initiatives qui améliorent les politiques urbaines.
Evoquer la pauvreté en France conduit souvent à penser aux grands ensembles des quartiers populaires en périphérie des métropoles. Pourtant, au détour d’un chemin de campagne, derrière les façades de pierre ou les volets clos, c’est une autre précarité qui se dessine. Ces dernières années, Nadia Okbani, maîtresse de conférences en science politique à l’Université de Toulouse Jean-Jaurès, a travaillé sur cette «précarisation des classes populaires rurales». Un malaise bruyamment exprimé lors du mouvement des gilets jaunes ou des élections législatives de 2024, qui, le reste du temps, demeure discret, voire invisible.
En ville, les fragilités se repèrent souvent à travers des quartiers identifiés. Dans les ruralités, elles se fondent dans le paysage et sont «dispersées», explique Nadia Okbani qui a notamment étudié la question à Saint-Girons, en Ariège. Elle dresse un constat clair : «Nous sommes sur un territoire où la précarisation structurelle est liée à la désindustrialisation, au faible nombre d’emplois ainsi qu’à la qualité de ceux disponibles.»
Cercle vicieux
Ici, un maçon se voit contraint de se déclarer en autoentrepreneur pour être payé à la tâche. Là, une aide à la personne jongle avec des horaires éclatés, de nombreux kilomètres à parcourir chaque jour et un faible salaire. «Tendanciellement, les habitants sont moins rémunérés qu’en ville et souvent soumis à des contrats à temps partiel», précise la chercheuse toulousaine. Le niveau global de revenus pâtit aussi du fait qu’il y a «moins de classes supérieures et moins de diplômés» dans ces territoires. Cela alimente un cercle vicieux : les jeunes diplômés partent étudier, chercher du travail et des opportunités en ville, laissant derrière eux une population peu qualifiée et vieillissante dans un bassin d’emplois restreint.
Dans les villages, les ménages sont plus fréquemment propriétaires de leur logement qu’en zone urbaine. Mais cette stabilité apparente masque parfois des difficultés sociales. Des personnes, souvent âgées, vivent dans des maisons mal isolées, insalubres, difficiles à rénover avec des revenus trop maigres. Quitter ces logements signifierait abandonner leurs repères, leurs voisins mais également leurs solidarités locales.
«Demander de l’aide n’est pas simple»
En campagne plus qu’à la ville, la mobilité fait la différence entre une vie digne et un quotidien précaire. Faire ses courses, consulter un médecin, aller travailler : rien n’est possible sans voiture et du temps. «La question de la mobilité est omniprésente en milieu rural et éloigne les personnes du panier de la vie courante», poursuit Nadia Okbani. Et quand les services publics ferment, la fracture se creuse. Les démarches administratives se font désormais de plus en plus en ligne : une solution inadaptée pour de nombreuses personnes vivant sans repères numériques.
Face aux difficultés, les habitants se voient contraints de trouver d’autres manières de s’en sortir. On cultive un potager, on cueille des champignons ou des fruits, on glane du bois ou encore on troque un coup de main contre un panier de légumes. Un style de vie choisi pour certains, mais des pratiques de survie pour d’autres. «Dans les territoires où tout le monde se connaît, demander de l’aide n’est pas simple. Faire la queue pour l’aide alimentaire, c’est courir le risque d’être repéré. Alors, nombre de ces publics précaires préfèrent se débrouiller quitte à risquer de disparaître des radars sociaux».
Dans le même temps, les politiques locales cherchent surtout à rendre les campagnes attractives : attirer de nouvelles familles de classe moyenne, développer le tourisme, séduire les entreprises… Une tendance qui fait passer les plus fragiles au second plan. D’autant que, dans les communes de moins de 5 000 habitants, il n’existe pas toujours de centre communal d’action sociale (CCAS) pour les accompagner. Les espaces France Services offrent un premier niveau d’accueil, mais ils sont parfois insuffisants pour les démarches complexes. Une mise à l’écart qui nourrit la défiance envers l’Etat et entretient les votes extrémistes.