C’est d’abord le bruit qu’elle fait. Un «whouf» assourdi, un grondement sourd, un bruit énorme qui se rapproche… Et puis le nuage blanc qui arrive à toute vitesse, fondant sur les skieurs ou les alpinistes. «En dévalant à près de cent kilomètres à l’heure une pente parsemée de blocs rocheux et d’arbustes ou en chutant d’une falaise, la victime est blessée quelquefois à la tête, souvent au rachis, au thorax ou au bassin.» Pierre Muller l’écrit en préambule : «Mes carrières de médecin secouriste et de guide de haute montagne m’ont régulièrement confronté à l’avalanche. Il m’est arrivé d’en être victime, j’ai malheureusement perdu des amis, et j’ai souvent secouru des skieurs et des alpinistes emportés par elle.»
«Force démoniaque»
Son livre constitue un témoignage éloquent – et édifiant – d’histoires restées dans les mémoires ; depuis Val d’Isère (Savoie) et le drame de l’UCPA en 1970, «pourquoi a-t-on construit ce centre de vacances au pied d’un couloir d’avalanche à peine sécurisé ? […] On a omis de se souvenir qu’ici ou là on avait choisi de ne pas construire parce que le grand-père y avait perdu une grange ou des arbres, balayés par une avalanche» ; en passant par la catastrophe des enfants disparus aux Orres (Hautes-Alpes) en 1998. Des avalanches que Pierre Muller qualifie de «monstre» ou de «force démoniaque» en soulignant l’état des victimes, tellement abîmées qu’on se demande si ce qui leur est arrivé est «naturel»…
La lecture de cet ouvrage permet enfin de tordre le cou à quelques données communément admises, comme la durée de survie des victimes (entre quinze et vingt minutes). Certaines personnes sont restées plusieurs heures ensevelies, et miracle, respiraient encore lorsque les secours sont arrivés !
«Débordé par ses émotions»
Le médecin revient enfin sur la «lourde tâche» de prévenir des parents que leurs enfants sont morts. «Il se sent très seul à ce moment-là, l’empathie qu’il ressent est énorme et le risque grand de se voir rattrapé et débordé par ses émotions», écrit Pierre Muller, qui ajoute : «L’inverse peut se produire, le médecin qui a trop souvent sollicité ses ressources empathiques, peut finir par en être dépourvu et faire preuve d’un cynisme glaçant.» Ou de citer cet exemple navrant quand, après le décès de sa femme sous une coulée de neige, son mari, qui s’en était sorti, a décidé de mettre fin à ses jours : «Hayden a survécu à l’avalanche, pas au décès de sa compagne.»
Au final, s’il fallait ne retenir qu’une chose, on garderait cette mise en garde contre l’excès de confiance, péché capital en montagne, responsable de tant d’accidents. «La plupart de nos descentes se finissent bien. […] Ces succès nous donnent l’illusion que nous accumulons une expérience qui nous rendra invulnérables. […] Le renoncement, la capacité de dire non et de faire demi-tour, est une sagesse que l’on requiert.»