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Climat Libé Tour Dunkerque: initiative

Dans les Hauts-de-France, le vert encore bien pâle des data centers

En France, 15 % des émissions carbone du numérique proviennent des data centers, dont beaucoup sont implantés dans le Nord. Si certains adoptent des pratiques vertueuses, celles-ci sont encore loin de compenser la pollution générée.
Devant les locaux d'OVH, à Roubaix, en 2021. (Denis Charlet/AFP)
par Zélie de Crécy, journaliste étudiante à l'ESJ Lille
publié le 24 octobre 2023 à 15h59

Des dizaines de milliers de serveurs, ronronnant jour et nuit pour garantir notre accès à Internet. C’est ce que renferment les huit data centers du leader européen OVHcloud, éparpillés aux alentours de Roubaix. Le géant du numérique, basé dans les Hauts-de-France, héberge plus de 400 000 serveurs à travers le monde.

Le web, loin d’une réalité dématérialisée, cache une industrie bien tangible, et polluante. La part du numérique dans le bilan carbone de la France s’élève à 2,5 %, comme l’estime un rapport, publié en mars, par l’Agence de la transition écologique (Ademe) et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Les data centers à eux seuls représentent plus de 15 % de ces émissions.

Clim géantes

L’exploitation d’un centre de données nécessite un véritable cercle vicieux énergétique. Alimentées en continu, les rangées de machines de calcul informatique doivent être simultanément refroidies pour ne pas surchauffer. «Les serveurs doivent être capables de répondre à la demande, qui peut arriver n’importe quand», explique Aurélie Bugeau, chercheuse au laboratoire bordelais de recherche en informatique et membre d’EcoInfo, groupe de travail sur l’impact environnemental de l’informatique du CNRS. C’est ainsi que de gigantesques systèmes de climatisation sont utilisés pour refroidir les salles de calculs, utilisant des litres et des litres d’eau.

Mais selon Aurélie Bugeau, «les gros centres sont de plus en plus optimisés en termes d’énergie. Les systèmes de refroidissement s’améliorent.» OVHcloud développe par exemple depuis 2003 un système de «water cooling» pour ses entrepôts. Circulant dans un réseau interne de tuyaux en cuivre, l’eau fraîche capte la chaleur produite par les serveurs et permet à l’air ambiant de conserver une température entre 18 et 27 degrés.

Mais face au volume de données qui grimpe, l’Ademe et l’Arcep estiment que l’empreinte carbone du numérique en France pourrait croître de 45 % entre 2020 et 2030. Entre 2019 et 2022, le bilan carbone d’OVHCloud a ainsi grimpé de 107 000 à 164 000 tonnes équivalent CO2. Face à la demande, le secteur s’étend, notamment dans le Nord.

«Les Hauts-de-France sont un emplacement idéal pour les data centers. Un nœud géographique, estime David Brusselle, directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie de la région. Aujourd’hui, on assiste indiscutablement à une intensification des investissements dans ce secteur.» La fédération France Datacenter dénombre ainsi une trentaine de centres dans la région.

Boucle vertueuse

Jérémy Cousin, référent des Hauts-de-France de l’organisation, a fondé l’entreprise CIV en 2010. Elle gère deux centres de données, à Lille et Anzin, près de Valenciennes. Dès ses débuts, CIV affiche des objectifs bas carbone. «Le projet c’était de ne plus être qu’un consommateur d’énergie, mais aussi un producteur de chaleur.» Tout comme leur voisin OVH, les data centers CIV entreprennent de réutiliser la «chaleur fatale» produite par la surchauffe des serveurs pour fournir les bureaux de l’entreprise, ou même des bâtiments alentour. «J’achète l’énergie, elle sert deux fois», résume l’entrepreneur, qui estime que «ce serait une hérésie de ne pas utiliser cette chaleur. Cela devrait être obligatoire.» L’avenir du data center, pour Jérémy Cousin, réside dans la création de cette boucle vertueuse qui «intègre les data centers au cycle de production d’énergie».

Mais ce système doit aussi reposer aussi sur une électricité renouvelable. Réseaux d’éoliennes, panneaux solaires sur les toits… Ces solutions isolées ont pour l’instant leurs limites. «Les centres sont toujours reliés à un réseau électrique, souligne Aurélie Bugeau. Car même si on installe des panneaux solaires, ils sont intermittents.»

Ainsi, les data centers verts restent minoritaires. Selon Jérémy Cousin, seulement 30 % des centres de données français auraient passé le pas. Un chiffre qui devrait grimper, si ce n’est pas par conviction environnementale, au moins par souci économique. «Les entreprises qui payent deux fois leur énergie, qui ne la réutilisent pas, ne seront vite plus compétitives. Celui qui ne se mettra pas au goût du jour perdra simplement des parts de marché.»

Un data center «ne peut pas être neutre»

Autant chez OVHCloud que chez Etix Everywhere, les data centers nouvelle génération affichent des objectifs bien optimistes, ayant adhéré en 2021 au pacte européen Climate Neutral Data Centre. Cette réunion d’acteurs européens du secteur avance une neutralité carbone du secteur à l’horizon 2030.

Mais en plus de leur fonctionnement énergivore, la fabrication des serveurs pèse en grande partie sur le bilan carbone. « Les serveurs sont changés de manière très régulière », explique Aurélie Bugeau. Les machines, qui durent environ quatre ans, créent une masse de déchets électroniques non recyclables. Ainsi, à l’échelle d’une entreprise, un centre de données « ne peut pas être neutre », affirme la chercheuse, qui souligne que le concept de neutralité n’a de sens qu’à l’échelle globale. Pour l’atteindre, les entreprises, comme dans beaucoup de secteurs, ont recours à des dispositifs de compensation carbone.

Si les modèles d’OVHCloud ou d’Etix Everywhere, qui planchent sur des solutions, ont vocation à se généraliser, le rapport de l’Ademe et de l’Arcep appelle à la «mise en œuvre d’une politique de sobriété numérique» pour pallier l’escalade des émissions carbone. Mais encore et toujours, face à l’urgence climatique, un choix devra s’imposer entre l’incitation et la contrainte.