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Climat Libé tour Bordeaux: Reportage

En Gironde, le Courlis cendré renaît des cendres

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L’oiseau, qui n’avait pas été vu depuis des décennies, a profité du vaste incendie dans les Landes de Gascogne en 2022, pour réinstaller ses nids, dans des zones devenues clairsemées.
(Roy McPeak/Getty Images. 500px)
par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux
publié aujourd'hui à 6h21

Lentement, puisant dans des forces insoupçonnables au milieu d’une terre ravagée, la nature continue de renaître de ses cendres, trois ans après les incendies qui ont sévi du côté de Landiras et de la Teste-de-Buch en Gironde. Dans le cadre du projet de laboratoire vivant «Forêt de demain», le Parc naturel régional des Landes de Gascogne et la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) d’Aquitaine documentent les conséquences du passage du feu sur la biodiversité et suivent la recolonisation des zones par les oiseaux, les insectes et les amphibiens. Lors de ces inventaires, une ornithologue a eu la bonne surprise, en 2024, d’entendre chanter et de voir voler un Courlis cendré. Ce petit échassier de couleur brune est reconnaissable à son long bec courbé et une bande blanche sur le bas du dos, visible lorsqu’il prend son envol. Sur les 7 400 hectares de parcelles forestières incendiées autour de Belin-Béliet et Louchats, dans le sud de la Gironde, l’oiseau n’avait pas été aperçu depuis des décennies.

Ces derniers mois, après une enquête de terrain poussée et la diffusion de chants – soumise à l’autorisation de l’Etat pour ne pas déranger les espèces – au moins trois couples ont été répertoriés. Inespéré. «Après la catastrophe de 2022, qui nous a fait mal au cœur, c’est passionnant d’assister à la redécouverte du Courlis dans le massif. J’ai l’impression de me retrouver propulsé dans les paysages captés par le photographe Felix Arnaudin au début du XXe siècle», décrit avec enthousiasme Nicolas Mokeunko, chargé de mission biodiversité à la LPO.

Profitez de la «remise à zéro»

L’espèce, emblématique de la région, était autrefois présente en masse sur le plateau landais. «Son abondance était telle que les bergers avaient pour coutume de ramasser ses œufs pour faire des omelettes de Pâques», précise ainsi la LPO dans une note sur son site. Le Courlis cendré est désormais protégé sur le territoire, classé comme vulnérable sur la liste rouge des oiseaux de France de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Sa progressive disparition dans les Landes de Gascogne coïncide avec celle de son habitat de prédilection autour de Belin-Béliet et Louchats. Historiquement, le milieu y était plus ras, avec une végétation herbacée et des plantes friandes de zones humides comme la molinie qui pousse en touffes. La monuculture de pins maritimes, très gourmande en eau, a déstabilisé le drainage des sols entraînant une reconfiguration du plateau.

«Paradoxalement, le feu a permis de retrouver les habitats ancestraux dominants. Le Courlis cendré, qui a besoin de grandes surfaces ouvertes pour s’établir, en a profité», analyse Nicolas Mokeunko. D’autres espèces patrimoniales d’oiseaux menacées à l’échelle européenne, comme la Fauvette pitchou, la Cisticole des joncs ou la Pipit rousseline, ont également fait leur retour dans ces zones plus clairsemées. «Tout l’enjeu est désormais de voir comment les différents acteurs du territoire peuvent profiter de cette remise à zéro pour tester des changements de pratique dans la gestion de la forêt. Ce qui est loin d’être une évidence», observe le scientifique.

«Laisser de la place à la nature»

Pour rendre hommage à cette nature résiliente et imaginer le massif de demain, William Caudron, en charge du projet de laboratoire vivant, s’attache désormais, avec la LPO, à sensibiliser autant que possible les propriétaires forestiers. Un défi de taille quand on sait que 95 % des forêts sont privées dans les Landes de Gascogne. «Il y a un enjeu de conservation assez fort qui se heurte sur le terrain à diverses contraintes économiques, techniques et réglementaires. Dans le cadre du code forestier par exemple, ils sont dans l’obligation de reboiser cinq ans après les coupes rases ou un évènement majeur comme les incendies de 2022.» Si certains ont accepté de repousser leurs travaux, le temps d’identifier les terrains concernés par le retour des oiseaux, la terre de certaines parcelles a déjà été retournée. «On dialogue autant que possible mais trouver des nids est très complexe sur des étendues aussi vastes. Pris en tenaille, des forestiers ne peuvent plus repousser», complète le chargé de mission forêt et biodiversité. Quant à la plantation de feuillus, parfois envisagée pour reconstruire un écosystème plus adapté au réchauffement climatique, elle coûte en général de quatre à huit fois plus cher que celle des pins. De quoi en rebuter plus d’un.

«On espère que des Courlis cendrés pourront cohabiter dans une certaine mesure avec les travaux et s’accommoder de quelques coupes rases mais je ne suis pas très optimiste. Il faudrait au moins protéger certaines parcelles en milieu ouvert, quitte à faire des rotations pour laisser de la place à la nature», préconise Nicolas Mokeunko. Malgré tout, assure William Caudron, quelques forestiers gardent un souvenir douloureux des tempêtes de 1999 et 2009, puis des incendies. «Nous allons observer comment ceux qui ont été confrontés à une succession d’aléas climatiques, envisagent de nouvelles pratiques. Nous avons beaucoup à apprendre du comportement des espèces pour nous adapter au réchauffement climatique.»