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Libération
Reportage

Dans l’Eure, la renaissance des maisons Phénix

La Biennale d’architecture de Venisedossier
A Val-de-Reuil, des pavillons HLM réhabilités en écoquartier privilégient la sobriété énergétique et les espaces verts partagés. Une transformation réussie sans passer par la case destruction.
L’écovillage Hameau de l’Andelle, à Val-de-Reuil (Eure), en avril 2025. (Henrike Stahl/Libération)
publié le 8 mai 2025 à 20h39

Quelles solutions propose l’architecture pour s’adapter à l’imprévisibilité du monde, repenser l’existant et imaginer de nouvelles façons d’habiter l’espace ? Un dossier réalisé en partenariat avec l’Institut français à l’occasion de la Biennale d’architecture de Venise 2025. Tous les articles sont à retrouver ici.

«C’étaient des passoires. On ne pouvait pas continuer comme ça !» D’une main, Eric Joly montre les maisons pimpantes du hameau de l’Andelle, à Val-de-Reuil (Eure), où il habite depuis plus de trente ans avec sa compagne. Difficile, derrière les enduis colorés, les nouvelles terrasses surélevées et les bardages bois, d’identifier les maisons Phénix originelles, construites à une époque où les arbitrages énergétiques n’étaient pas les mêmes, et où une façade en béton de 5 cm d’épaisseur rebutait moins. Il faut dire que ces dernières années, le quartier HLM a opéré une véritable mue. La réhabilitation menée à l’initiative du bailleur social la Siloge, appuyée par l’Anru, les collectivités locales et l’Europe, s’est achevée l’automne dernier.

Pour les locataires, c’est une libération. «On ressent bien la chaleur, et on fait des économies de gaz !», s’exclame une habitante qui détaille : sa facture est passée de 230 euros à 68 euros mensuels. La priorité a été donnée à l’isolation des toits et façades, pour rompre avec la précarité énergétique des habitants. Effet collatéral positif, le confort acoustique apaise la vie du quartier. «Quand on vit heureux chez soi, quand les bruits des logements mitoyens ou de l’extérieur ne sont plus une nuisance, alors votre voisin n’est plus votre ennemi dans l’espace public», observe l’architecte Philippe Madec, qui a conçu le projet. Surtout, la seconde vie de ces maisons Phénix, symboles du rêve pavillonnaire et de ses écueils, montre que la réhabilitation coûte souvent moins cher que de tout raser pour reconstruire à neuf. «Et c’est aussi moins d’énergie, moins de ressources, moins de nuisances…»

«Avant, c’était un marécage»

Dans le quartier, les travaux menés vont bien au-delà de la rénovation des logements. «On a l’impression qu’on a donné de l’air aux rues», sourit une passante. C’est vrai qu’on respire bien et ce matin de printemps, les pavillons jaunes, rouges et blancs bordés d’allées piétonnes et de verdure évoquent un havre de paix norvégien. La métamorphose n’est pas étrangère à la construction, à quelques pas de là, de l’écoquartier des Noés, récompensé en 2018 du prix de l’Equerre d’argent dans la catégorie aménagement urbain et paysager. «Avant, c’était un marécage», se souvient Eric Joly devant l’ensemble de 98 logements sociaux (dont 14 maisons en location-accession), sortis de terre à quelques dizaines de mètres de son pavillon.

Conçu par le même cabinet d’architecture de Philippe Madec dans une exigence de sobriété énergétique, cet écoquartier fait la part belle aux espaces partagés, associatifs et publics (halle couverte, jardins, poulailler, crèche, chaufferie au bois…), mais aussi au végétal et à l’eau : des noues ont été creusées pour permettre d’absorber les crues de l’Eure toute proche. «Tout le monde savait que Les Noés rendaient les gens heureux», se félicite l’architecte, à qui la Siloge a demandé de décliner la formule de ce succès au quartier voisin du hameau de l’Andelle.

«Le lien avec l’environnement s’était perdu»

Mission accomplie. Autour des maisons Phénix (un échantillon infime des 450 000 construites sur l’Hexagone, qui ont parfois été purement et simplement détruites), 12 500 végétaux de plus de cinquante essences différentes ont été plantés – des aulnes qui poussent sur les rives des rivières, de l’aubépine, des genêts, des Iris des marais… Le hameau de l’Andelle a retrouvé son lien à l’Eure toute proche (désormais à cinq minutes à pied de promenade piétonne) et une tranquillité évocatrice du bocage normand, qui contraste avec le passé récent. C’est l’une des fiertés de Denis Comont, paysagiste du projet, qui relève l’importance d’avoir partiellement désimperméabilisé les sols. Auparavant, le quartier était bitumé, «phagocyté par l’usage automobile aux dépens des fonctions piétonnes, qui se résumaient aux quelques pas de l’automobiliste descendant de sa voiture juste devant sa porte. Le lien avec l’environnement s’était perdu : on aurait pu être partout ailleurs».

Bien sûr tout n’est pas parfait au hameau de l’Andelle : les habitants, fiers de leur quartier et désireux qu’il reste dans le meilleur état possible, pointent ici un portail qui coince, là des traces d’humidité (une entreprise doit expertiser cela). Pointilleux ? Echaudés, plutôt. Val-de-Reuil n’est pas n’importe quelle commune. A mi-chemin entre Rouen et Mantes-la-Jolie, la petite dernière des villes nouvelles projetait à sa fondation, en 1973, d’accueillir 140 000 Rolivalois à l’horizon des années 2000. Mais rien ne se passe comme prévu : au tournant du XXIe siècle, la jeune cité compte seulement 13 000 habitants, et 96 % de logement social. L’usine Renault et la classe moyenne attendues ne sont jamais venues : pour Val-de-Reuil, les Trente Glorieuses se sont arrêtées trop tôt. Aujourd’hui, la ville entend bien se défaire de son image de «ville de cas soc», et permettre aux habitants dont les revenus progressent de rester à Val-de-Reuil, qui compte désormais «seulement» 60 % de logement social. Un dispositif d’accession permettant aux locataires du hameau de l’Andelle d’acquérir leur logement devrait bientôt être lancé. Eric Joly se montre intéressé, mais prudent : il attend le détail de l’affaire. Une chose est sûre : il se sent bien ici, chez lui, et il ne déménagera pas.