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Libération
Les 10 ans du Vrac : reportage

Dans un foyer d’étudiants à Lille, l’alimentation à questions multiples

Les dix ans du Vracdossier
A la résidence Bethanie, l’association Vrac Hauts-de-France organise un «débat glissant» pour discuter des choix alimentaires sans se prendre la tête ni juger les différentes positions.
Le repas idéal des jeunes est simple, rapide et pas cher, selon un questionnaire réalisé par Vrac. (Benjamin Béchet/Libération)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 24 juin 2023 à 6h34
Comment fournir une alimentation durable et de qualité à toutes et tous ? Enquêtes, portraits, témoignages et reportages... Un dossier réalisé en partenariat avec l’association «Vers un réseau d’achat en commun» à l’occasion de ses 10 ans.

A l’apéro, à la résidence Béthanie de Lille, un foyer de jeunes travailleurs, ce 30 mai, il n’y a pas de chips, mais des crackers faits maison aux graines de courge, une trempette de féveroles, inspirée du foul égyptien, et un débat sur l’alimentation. Vrac Hauts-de-France, qui a ses bureaux dans les locaux, est l’organisatrice de cette animation de bon voisinage. «Leur présence n’est que du bonus pour nous», se félicite le directeur du foyer, Eric Freire. «C’est un atout pour les jeunes, car ils peuvent consommer à des prix raisonnables des aliments de qualité achetés dans l’épicerie éphémère.» Ce soir, il s’agit de discuter des choix alimentaires sans se prendre la tête. «Nous cherchons à libérer la parole, dans une démarche d’éducation populaire, et à mieux connaître notre public», précise Sandrine Forzy, la coordinatrice régionale.

Le principe est celui du débat glissant : on choisit son camp, pour ou contre, en se positionnant de part et d’autre d’un manche à balai posé au sol. Et au fil des arguments échangés, on a le droit de changer d’opinion, et donc de place. «On va vous poser des questions rigolotes, et d’autres un peu plus sérieuses», explique Elisabeth Nezami, chargée de mission animations et alimentation durable chez Vrac, à la dizaine de résidents présents : des jeunes adultes qui travaillent, des alternants ou des étudiants étrangers en stage. Un point commun, ils gagnent un maximum de 1 686 euros net par mois. Leur repas idéal est simple, rapide et pas cher, selon un questionnaire réalisé par Vrac.

«Il y a des trucs où on trouve des protéines, comme les haricots»

Première question : «Au petit-déjeuner, êtes-vous sucré ou salé ?» Les jeunes se séparent en deux camps de nombre à peu près égal. Benicia grimace : «Je viens de Colombie, c’est impossible le sucre le matin. Je mange des galettes de maïs, du fromage, des choses comme ça.» Un autre locataire proteste : «Avec le sucre, tu alimentes ton cerveau pour la journée.» Lui ne mange rien, mais ne se passerait pas de son café sucré. Il n’est pas le seul, dans la team caféine. L’animatrice, sans juger, leur demande : «Vous ne sentez pas la fatigue dans la journée ?» Un jeune se marre : «Tu rebois un café.» Ophélie, 19 ans, souffle : «Le sucre, ça donne le diabète si on abuse.»

Interrogation suivante, plus polémique : «Etes-vous pour ou contre le fait de manger de la viande ?» Tout le monde glisse du même côté, viande plébiscitée. «Pourquoi pose-t-on cette question ? reprend Elizabeth Nezami. Il y a de plus en plus de gens qui sont végans, végétariens ou flexitariens, car ils sont soucieux du changement climatique ou de la protection des animaux. Par exemple, l’élevage intensif des bovins représente 15 % des émissions de gaz à effet de serre.» Les garçons ne sont pas près d’être convaincus. Benicia témoigne : «J’ai été végétarienne pendant un an et demi. Je suis d’accord, il faut réduire, mais pas arrêter complètement, parce que c’est trop bon.» Elle a trouvé ce régime contraignant, avec une difficulté à varier les recettes. Les autres jeunes sont plus proches du flexitarisme qu’ils l’imaginent : ils n’ont pas les moyens de manger de la viande tous les jours. «Il y a des trucs où on trouve des protéines, comme les haricots», suggère un résident. Un autre lui répond : «Les haricots, j’aimerais qu’il y ait de la viande dedans.»

La conversation dérive sur les insectes à croquer : les criquets grillés ou en sauce, explique, parmi les moues dégoûtées, Brendy, originaire du Congo-Brazzaville. Dernière question : les tomates toute l’année, pour ou contre ? D’un même mouvement, ils se rangent dans le camp des fruits sous serre d’hiver, fadasses. Il n’y aura aucun jugement de la part d’Elizabeth Nezami : «Il y a mille façons de manger, et c’est OK comme ça.» Juste un début de réflexion espéré chez les uns et les autres.