Menu
Libération
Voyage en terres d'ethnologie : documentaire

«Danser l’espoir», une vie de danseuse africaine

Germaine Acogny, aujourd’hui âgée de 79 ans, retrace dans un documentaire les étapes qui ont marqué sa carrière de chorégraphe.

Extrait du film de Vali Fugulin et Martin Morissette, "Danser l'espoir". (Esperamos Films)
Publié le 30/01/2024 à 15h59, mis à jour le 26/02/2024 à 10h25
Les samedi 2 et dimanche 3 mars, le musée du quai Branly-Jacques Chirac organise une nouvelle édition de «L’ethnologie va vous surprendre !» sur le thème du corps. Partenaire de l’événement, Libération publiera le lundi 26 février un supplément dans le quotidien et un dossier spécial à retrouver sur notre site.

Se toucher pour entendre son corps, être en phase avec la nature, échanger en mode partage, ce sont là quelques principes actifs de la méthode développée par Germaine Acogny, pour qui il faut commencer par «mettre le corps en joie» pour bien se positionner dans l’espace. Et pour illustrer ce propos les premières images du documentaire qui lui est consacré (1) mettent en scène une troupe de danseurs et danseuses mis en mouvement autour d’un vaste baobab. «La colonne vertébrale, c’est le serpent de vie, ou l’arbre de vie.» Bon pied bon œil, la chorégraphe-danseuse fait référence dans le monde de la danse contemporaine en qualité de pionnière d’un mouvement de décolonisation des pensées dans une discipline longtemps réservée aux héritier(e)s de Martha Graham et autre Isadora Duncan.

Crâne rasé et pas assuré, celle qui est née au Bénin en mai 1944 s’est distinguée bien vite, par une volonté assumée de dépasser les questions de genre comme de se débarrasser d’un geste des clichés qui collent à la peau des Africains. «Nous représentons le tronc du baobab, du fromager, du palmier. C’est comme ça qu’avec l’imaginaire, nous pouvons créer une nouvelle danse, avec l’essence des danses africaines.» Aux rythmes des tambours, les corps forment un cercle sur le sable, loin des cénacles classiques. Dans le village de Toubab Dialo, à une heure de route de Dakar, elle a fondé l’école des sables de Jant-Bi, un centre international de danses traditionnelles et contemporaines d’Afrique qui ne fait que prolonger les valeurs qu’elle aura promues sa vie durant.

Le symbole d’une renaissance

Le portrait revient ainsi rapidement sur ses premières années, à travers des photos en noir et blanc, notamment en 1977 lorsque dix ans après avoir créé son premier studio à Dakar, elle fut nommée à la direction d’une école de danse contemporaine, Mudra Afrique, adoubée par Maurice Béjart et soutenue par Léopold Sédar Senghor, dans le sillon duquel elle s’inscrit. Et la vénérable femme, que gamine l’on surnommait «la folle» parce qu’elle dansait «une danse spéciale», de citer une des poésies de celui qui présida aux destinées du Sénégal : «Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur.»

Mais plus que le passé, sans pour autant en effacer les traces, l’enjeu est de regarder droit devant pour bâtir une alternative aux modèles dominants. «La technique Acogny, c’est notre classique. A nous de l’utiliser», analyse un jeune Rwandais auquel la septuagénaire demande de se servir de ses bras comme les aigles. Une autre disciple, elle-même enseignante, y voit le symbole d’une renaissance des danses africaines, ancrées dans l’animisme. Et même si la charismatique femme se perçoit parfois «dictateur éclairé, comme il faut pour l’Afrique» (une phrase glissée le sourire en coin mais un peu limite au regard de l’histoire du continent), cette transmission de savoirs se veut synonyme d’émancipation des êtres. Un jeune Congolais confirme : «La danse est un espace où je me sens libre.»

«On n’essaie pas de faire des petits Acogny. Les élèves viennent avec leur savoir qu’ils partagent avec les autres.» C’est cette multitude de pratiques, urbaines comme rurales, du vaste continent qu’il s’agit ici de valoriser. A l’Ecole des sables, «la maison mère des danseurs africains qui peuvent venir s’y ressourcer et se stimuler», l’idée fondatrice est de conserver l’énergie fondamentale des traditions dans la création contemporaine. Son fils, Patrick, lui-même pédagogue, n’hésite pas à prophétiser que «la danse africaine d’ici une quinzaine d’années va bouleverser la danse mondiale. Ce sera un tsunami, mais il faut donner les moyens aux jeunes de le faire».

«La pauvreté a besoin de beauté»

Germaine Acogny s’y attelle, sans relâche, comme elle démontre par l’exemple que la femme a toute sa place dans ce futur à recomposer, à l’image de cette percussionniste qui dirige la manœuvre et la considère comme sa mère. La chorégraphe entend ainsi «affronter l’espoir», en faisant trébucher le prétendu pessimisme de l’Afrique : «La pauvreté a besoin de beauté. On devrait soutenir la beauté. L’Afrique, ce n’est pas que la misère. De belles choses se passent ici.» La preuve en images, des visages de femmes épanouies et des hommes tout en souplesse s’accordant dans leurs différences aux cordes agiles de la kora. C’est sans doute l’autre grande leçon de cette totémique chorégraphe. «Nous sommes arrivés à faire ce que les politiques n’ont pas su faire : l’Afrique unie par la danse.»

Danser l’espoir, portrait de Germaine Acogny, un film de Vali Fugulin et Martin Morissette. Diffusé le samedi 2 mars 2024 de 18 heures à 19h30 au musée du Quai Branly.