Une femme coiffée de cheveux blancs, courbée, se déplace dans un appartement encombré de livres et de dossiers, en quête de papiers égarés. On le comprend bientôt, c’est elle, «la combattante» du beau film de Camille Ponsin (1), dont la sortie en salle, mercredi 5 octobre, a été précédée de diffusions lors de festivals (recevant, entre autres, le grand prix du documentaire national au Fipadoc). Le réalisateur offre un huis clos saisissant qui nous emmène, c’est la force du montage, depuis le quotidien de l’ethnologue nonagénaire Marie-José Tubiana, «quelque part sous les toits de Paris», jusqu’au Soudan des années 50 à nos jours.
Cette directrice de recherche honoraire au CNRS, spécialiste du Darfour, est aujourd’hui la seule experte à pouvoir authentifier les récits de nombreux rescapés du génocide. La Combattante est autant le portrait de cette femme, véritable antidote à la misanthropie («une Juste», pose Camille Ponsin) qu’une dénonciation à l’efficacité douloureuse de la béance du droit d’asile français, fleuron amoché d’une politique migratoire meurtrière. Quand l’Office français de protection des réfugiés et apatrides refuse l’asile à un Soudanais («déclarations confuses», «origine géographique non étayée»), Marie-José reçoit le requérant chez elle, confronte son récit à ses connaissances encyclopédiques, et bien souvent ressort ses cartes, celles qu’elle a tracées il y a plus de cinquante ans ; du temps de ses cheveux noirs, avant que le colonel Omar el-Béchir ne s’empare militairement du Soudan, avant que 3 000 villages du Darfour ne soient bombardés.
L’ignorance et les fantasmes extrémistes
Sur ces cartes, après parfois une nuit de recherche, Marie-José Tubiana retrouve les lieux aujourd’hui absents des radars administratifs, dans lesquels ont vécu Youssef, Naseem, Bakhita, Abdelrahman ou Osman. Et c’est l’une des grandes réussites de la Combattante que de redonner des noms, des visages, des voix, à une migration anonymisée par l’ignorance, les objectifs chiffrés et les fantasmes extrémistes. Dans le salon de Marie-José, l’ethnologue et le réfugié, face-à-face, écrivent l’histoire niée.
Les horaires des séances du documentaire lors du festival le Grand Bivouac d’Albertville
Camille Ponsin a passé trois ans aux côtés de la chercheuse, vivant chez elle une partie du tournage, pour saisir quelques-uns de ses échanges avec les plus de 300 réfugiés qu’elle a aidés à étayer leur dossier de demande d’asile – une démarche au long cours chère au réalisateur, et qu’on retrouve dans ses précédents projets, tels que les Demoiselles de Nankin (2007) ou Bollywood Boulevard (2010). «Comment faire pour arrêter ?» interroge, face caméra, Marie-José Tubiana. Sur son téléphone portable à clapet, les sollicitations affluent. A l’écran, ses doigts pianotent, sa voix calme relit ses mots. «Je puis attester de la véracité de son récit […]. Ne pas accorder l’asile à cet homme et envisager de le reconduire dans son pays d’origine serait l’exposer à l’emprisonnement, aux tortures et à la mort. Pour faire valoir ce que de droit, Marie-José Tubiana.» Un film lumineux, sur la puissance du savoir pour faire éclater la justice – une victoire jamais acquise, dont Camille Ponsin donne à voir à la fois la force et l’extrême fragilité.
(1) A retrouver au Grand Bivouac d’Albertville.