Face à la défiance des citoyens vis-à-vis de l’Etat, des institutions ou de la politique, quel rôle peuvent jouer les collectivités locales? Tel était l’objet d’un colloque organisé à Rouen par le Centre national de la fonction publique territoriale. Un événement dont Libération est partenaire.
Cette année, les «grands» de l’école Emile-Basly, à Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais), verront sans doute l’été arriver dans leur cour avec une joie particulière… Ils sauront très bien, en effet, d’où viennent l’ombre et la fraîcheur nouvelles qui les protégeront enfin des trop fortes chaleurs : de leur propre initiative, de leurs efforts et ceux de leurs parents, pour débitumer et végétaliser leur espace de récré.
Le projet, lancé en mars 2022, fut ce qu’on appelle ici un «fifty/fifty» : un dispositif d’implication citoyenne importé d’Allemagne au début des années 2000 par l’ancien maire Jean-François Caron (EE-LV), fondé sur le principe du «donnant-donnant». «Les habitants viennent avec une idée, qu’ils motivent et expliquent à la ville. Si le projet est crédible et d’intérêt général, la mairie s’engage à les soutenir, techniquement et financièrement, pour qu’ils le réalisent eux-mêmes», décrit Pascale Eslan, conseillère municipale. Il faut donc se retrousser les manches… «Le fifty/fifty repose sur l’idée de responsabilisation, poursuit l’élue loossoise. Le citoyen n’est plus simplement “client” de l’action publique mais cobâtisseur.»
«Comprendre les problématiques de l’autre»
Pour formaliser le deal, commune et citoyens signent une convention qui cadre le projet, les tâches et responsabilités. Ainsi, pour transformer la cour de l’école Basly, la mairie a mis à disposition tronçonneuse thermique, perforateur, meuleuse électrique, pelles, pioches et brouettes… Et ce sont les parents d’élèves qui, bénévolement et pendant les vacances scolaires, ont débitumé et évacué l’enrobage, avant une phase d’aménagement paysager, elle aussi participative. Quant aux plans, ils ont été dessinés par les élèves.
En sus d’améliorer le cadre de vie et de faire faire des économies à la commune, l’effet recherché est évidemment très politique : renouer, alors que sévit en France une sévère crise démocratique, des liens de confiance entre citoyens et élus. «Ce principe pousse chacun à entendre et comprendre les problématiques de l’autre, témoigne Valentina Hernández, chargée de mission Ademe à la mairie de Loos-en-Gohelle. Les élus et les services techniques s’enrichissent de la vision et de l’expertise des habitants, et ces derniers découvrent les rouages de la fabrique de la ville.» Enquête, débats, recherche de consensus… Les citoyens s’arment de nouvelles compétences. Pour dessiner les plans du nouveau skate-park, les jeunes de la ville sont ainsi allés étudier ce qui se faisait ailleurs, consulté les voisins, et échangé avec les services techniques.
Parfois, certes, l’enthousiasme s’émousse, à l’image de certains carrés potagers, lancés par des habitants mais progressivement désertés… «Il faut entretenir la flamme, accepter des discontinuités», concède Pascale Eslan. Gérer, aussi, «des frictions», ajoute Valentina Hernández : «Les habitants peuvent être frustrés par les contraintes budgétaires ou par le temps municipal, rythmé par les marchés publics et les comités de pilotage.»
«Travail de fond»
Collecte des déchets sur les terrils, festivals, création de jardins potagers, rénovation de locaux associatifs et des chemins ruraux… En vingt ans, une soixantaine de ces microprojets ont été menés à Loos-en-Gohelle, faisant de cette petite ville du bassin minier (6 900 habitants) une référence à l’échelle nationale : «La démocratie participative a le vent en poupe en France, mais la plupart des dispositifs – budgets participatifs, conventions et panels citoyens, consultations en ligne, etc. – ont un point commun : c’est systématiquement la collectivité qui en maîtrise le casting, le sujet et le résultat», note Manon Loisel, consultante en action publique locale et coautrice, avec Nicolas Rio, de Pour en finir avec la démocratie participative (Textuel, 2024). Un écueil que semble déjouer le fifty/fifty, sans résoudre, selon elle, deux limites : rallier celles et ceux qu’on entend le moins (les abstentionnistes), et ne couvrir qu’un périmètre restreint de l’action publique, «dont l’essentiel se joue à un autre niveau, celui de l’intercommunalité».
«Il y a des gens qu’on ne verra jamais participer, c’est vrai», reconnait la conseillère municipale Pascale Eslan, qui souligne l’importance de persévérer. «Développer la culture de la participation est un travail de fond, qui commence à cette échelle très locale. A Loos-en-Gohelle, nous avons beau creuser ce sillon depuis plus de quarante ans, il faut continuer à convaincre.» En 2025, la ville éditera notamment une BD, réalisée par une facilitatrice graphique, pour visibiliser encore davantage ses fifty /fifty.