S’informer, échanger, bousculer les certitudes sur des questions qui dérangent… Telle est l’ambition du Forum européen de bioéthique de Strasbourg. Au programme de cette quinzième édition, du 29 janvier au 1er février 2025 : la santé mentale.
De fines briques rouges composent un bâtiment de plusieurs étages dans le XIVe arrondissement de Paris. Derrière ses murs, le centre de psychopathologie périnatale du boulevard Brune (CPPB). Une jeune maman sort tout juste de consultation : «Je suis malheureuse, je souffre, je ne prends aucun plaisir. Je désirais cet enfant mais je n’ai qu’une envie c’est d’être ailleurs», a-t-elle confié au pédopsychiatre et directeur du centre, Romain Dugravier.
Selon les données de l’enquête publique nationale périnatale de 2021, près d’une jeune mère sur cinq souffre d’une dépression du post-partum. Car devenir parent est un bouleversement, que la psychologue et conférencière Jessica Shulz rapproche volontiers de celui que nous traversons à l’adolescence : «C’est un moment de crise, une transformation corporelle, psychique et sociale énorme.» Ce réaménagement s’accompagne de doute, de questionnements. Et c’est pour la vie, rappelle Jaqueline Wendland, psychologue et professeure de psychopathologie de la périnatalité, «on ne peut revenir en arrière, on change définitivement.»
Plus précisément, découvrir que quelqu’un dépend totalement de nous entraîne une responsabilité majeure qui peut sembler insurmontable. «Je n’avais pas compris que si je défaillais, je le mettais en danger», voici le genre de réflexion auxquelles Romain Dugravier est confronté. Un sentiment qui selon lui engendre une question vertigineuse pour beaucoup : sur qui puis-je m’appuyer et me reposer ?
Face à cette crise, les réactions diffèrent. Elles dépendent de notre expérience, de notre construction, mais également du déroulement de la grossesse ou de l’accouchement. Et la prise en charge des souffrances n’est pas une mince affaire. Derrière son bureau, le pédopsychiatre égraine les difficultés : la temporalité de l’événement (une période avec un avant et après), les différents lieux de soins et la diversité des discours entre les professionnels de santé. «C’est une idée reçue de dire que les femmes ne cherchent pas d’aide, c’est le système qui n’est pas suffisamment lisible et facile d’accès», affirme-t-il.
Il faut dire que pendant longtemps, la psychopathologie périnatale était orientée sur le développement du nourrisson. Ce n’est que récemment que la spécialité a commencé à s’intéresser à celles qui donnent la vie. Avec l’évolution de la société, le père est désormais inclus dans la prise en charge et les recherches. Le terme de parentalité «n’existait pas avant les années 1980», note Jaqueline Wendland. Au CPBB, le soin prend en compte les deux dimensions : le lien entre le bébé et ses parents tout comme la santé des adultes.
Soins
Tout commence par une consultation qui déterminera le chemin à suivre, de la thérapie seule ou en famille, à d’autres formes de prise en charge comme des groupes de parole. Des déplacements à domicile sont également possibles grâce à une équipe mobile. Enfin, l’hôpital de jour permet de passer plusieurs heures quotidiennes, accompagnés au sein de l’établissement.
Parmi les signes qui doivent alerter pour demander de l’aide : «une augmentation massive de l’angoisse, des idées tristes, la difficulté à s’occuper du bébé et d’être en lien avec lui. De façon générale, toute modification par rapport à un état antérieur», précise Jessica Shulz. Mais la dépression du post-partum est un trouble complexe qui peut se manifester par d’autres symptômes comme «les phobies d’impulsion (peur de faire du mal à son enfant ndlr), le trouble sommeil, la fatigue ou la douleur», avertit Lucie Joly, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, qui dispense également des cours de psychopathologie périnatale. Or, beaucoup de soignants passent à côté. Un mauvais dépistage qui entraîne un mauvais suivi avec des conséquences sur le nouveau-né et la famille.
«La psychiatrie, ça fait peur aux soignants et c’est encore plus le cas pendant la grossesse et le post-partum», poursuit Lucie Joly. Pour elle, former les professionnels de santé, et en premier lieu les sages-femmes «qui sont les premiers remparts pour renforcer la santé des femmes», est indispensable. Elle déplore le volume inégal de cours donnés en France et insiste par ailleurs sur le manque de formation concernant la prescription de médicaments pendant cette période. Par crainte - non fondée - pour le fœtus et le nourrisson, des traitements ne sont pas proposés ou sont arrêtés à un moment de vulnérabilité extrême.
Former à repérer et orienter, c’est également l’objectif de Jaqueline Wendland qui dirige le diplôme universitaire Développement précoce et psychopathologie périnatale. Une spécialisation ouverte à l’ensemble des professionnels susceptibles de rencontrer les futurs parents et leurs jeunes enfants : psychomotriciens, orthophonistes, sages-femmes, psychologues, éducateurs etc. «Je tiens à ce que le public soit diversifié, chaque année j’y veille, dit-elle, éviter l’isolement des parents, cela concerne tout le monde. C’est l’ensemble de la société qui devrait mieux s’occuper des parents et moins les idéaliser.»