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Dérèglement climatique : cessons de trouver les coupables et imaginons un nouveau récit

Et si nous étions tous les victimes et les coupables des dérèglements climatiques, s’interroge Valérie Decamp, directrice générale du groupe Mediatransports.
A Toulouse, plus de 60 personnes ont planté 244 arbres et arbustes dans un pâturage le 18 mars 2023 pour s'opposer au projet d'un promoteur. (Alain Pitton/NurPhoto.AFP)
par Valérie Decamp, directrice générale, groupe Mediatransports
publié le 10 novembre 2023 à 15h04

Politiques, entreprises, médias, citoyens : nous avons tous notre part de responsabilité dans la situation de dérèglement climatique, par négligence, par méconnaissance, ou par nos propres contradictions en tant qu’individus. Selon une étude Kantar Insights en juillet 2023, 95 % des Français souhaiteraient adopter une consommation plus responsable, mais 13 % déclaraient avoir changé leurs habitudes…

Les entreprises, elles, s’engagent de différentes manières en fonction des filières mais les enjeux climatiques sont intégrés à la feuille de route de toutes les grandes entreprises. «Cela ne va pas assez vite», estimeront certains, «cela n’est pas suffisant», jugeront d’autres, à raison peut-être, mais les actions sont lancées.

Limites de la surconsommation frénétique

Le secteur agricole et alimentaire est emblématique de ce positionnement ambivalent à la fois de coupable et victime : alors que les forts impacts de l’exploitation agricole sont connus, le secteur est aussi frappé de plein fouet par les évènements climatiques extrêmes et les tensions sur les ressources en eau, en énergie et les matières premières. Une accusation globale du secteur serait ainsi stérile, et les efforts faits pour faire évoluer les modes de production, par exemple en faveur de l’agriculture régénérative doivent plutôt être reconnus, et encouragés ! On voit bien ici la complexité de ce sujet, qui radicalise les positions parfois jusqu’à des actes violents.

Il est un autre secteur qui cristallise les positions : celui de la publicité, souvent accusée, stigmatisée, comme la principale cause de l’hyperconsommation et de ses effets dévastateurs. Il est vrai que le modèle de la publicité développé après la Seconde Guerre mondiale et annonçant les Trente Glorieuses, incitait fortement à la consommation, à l’acquisition. C’était alors son rôle principal !

Aujourd’hui, la situation n’est plus la même, et chacun voit les limites de cette surconsommation dont la publicité reste perçue comme la cause de tous les maux. Mais la publicité, accusée d’influencer les «temps de cerveau disponible» au service d’une consommation frénétique, peut aussi être utilisée pour influencer en faveur d’une consommation raisonnée et responsable. En réalité, ce changement a déjà commencé.

Rendre désirable de nouveaux modes de consommation

De l’amélioration des pratiques à la révision des process en passant par l’innovation en matière de services et produits plus durables, bon nombre de marques ont déjà opéré une mutation profonde de leur business model. Les initiatives sont pléthores. Et quand une entreprise change, sa communication change aussi.

La publicité d’aujourd’hui n’est donc réellement pas la même que celle d’hier d’autant qu’à ses nouvelles stratégies de promotion s’ajoutent des mécanismes d’autorégulation, souvent méconnus et dont l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité est le gardien. Aujourd’hui, montrer des situations de gaspillage alimentaire ou d’eau, même à travers des scénographies pouvant paraître anodines tels un repas de famille gargantuesque ou un enfant jouant avec un tuyau d’arrosage est proscrit par la déontologie publicitaire.

Désormais, le greenwashing est reconnu en droit comme une pratique commerciale trompeuse et passible de sanctions financières, au-delà des évidents impacts en termes d’image face à des consommateurs de plus en plus vigilants sur le sujet. Par-delà les contenus, c’est aussi en tant qu’industrie que la publicité a entamé sa transformation, pour une communication plus responsable dans ses aspects très opérationnels ; d’autant que les leviers d’intervention sont nombreux pour réduire son impact environnemental.

Bien sûr, nous ne sommes qu’au début d’un long chemin, et il reste encore beaucoup à faire mais au lieu d’accuser la publicité coupable de promouvoir une société ultra-consumériste, ne serait-il pas plus utile de reconnaître son rôle de prescripteur pour favoriser de nouveaux comportements en faveur d’une consommation responsable ?

Rendre désirable des modes de consommation plus respectueux de l’environnement, rendre désirable le «moins» plutôt que le «plus» pour qu’il se transforme en «mieux». Inciter à la modération et à la sobriété là doit être le nouveau rôle de la publicité.

Le défi est immense et complexe et nous oblige à imaginer un nouveau récit pour notre bien commun alors agissons ensemble, au-delà de la simple dénonciation !