Espace de débats pour interroger les changements du monde, le Procès du siècle se tient chaque lundi à l’auditorium du Mucem à Marseille. Libération, partenaire de l’événement depuis ses débuts, proposera, jusqu’en avril 2024, articles, interviews ou tribunes sur les thèmes de cette nouvelle saison. A suivre le 18 novembre L’écologie, un combat de riches ?
Des associations venues «de l’extérieur», Sanaa Saitouli en a vu passer plusieurs dans les quartiers populaires. Au programme, souvent : des ateliers pour apprendre aux habitants à gérer les déchets. Des moments «presque traumatisants», confie avec recul la cofondatrice de l’association Banlieues Climat. «Je ressentais leur bienveillance, mais en fin de compte, ça enferme dans l’idée “vous êtes les pollueurs”. Il y a toujours quelque chose de dégradant et d’humiliant dans cette approche».
Car contrairement à un préjugé tenace, les classes populaires sont loin d’être éco-analphabètes. «Les premiers écologistes, ce sont nos parents. C’est juste qu’à l’époque, on disait qu’on était les écolos de la galère, parce qu’on n’avait pas d’argent», ironise Sanaa Saitouli. Mais au-delà de cette sobriété subie, celle qui est engagée depuis plus de vingt ans l’assure : il faut arrêter de penser que les classes populaires sont indifférentes aux enjeux écologiques. «Beaucoup de choses se font dans les quartiers populaires sur ces questions. C’est juste que ce n’est pas visible».
Rendre visible les invisibles, l’enjeu est primordial. Surtout lorsqu’on sait que les habitants des quartiers populaires sont en première ligne face à la crise environnementale. Passoires thermiques, pollution atmosphérique, difficultés d’accès à une alimentation saine… A Paris par exemple, les habitants les plus pauvres ont trois fois plus de chance de mourir d’un épisode de pollution que les habitants les plus riches. Malgré ces chiffres, «les principaux concernés - à savoir les classes populaires -, restent très éloignés des discussions, constate Boris Tavernier, cofondateur de l’association Vrac et député de la 2e circonscription du Rhône. Aujourd’hui, ceux qui ont le plus la parole sur l’écologie, ça reste des CSP + , qui gens qui ont fait des études, qui ont des moyens»,
Résultat : nombreuses sont les personnes qui disent se sentir exclues des discours écologistes. Alors depuis bientôt deux ans, Banlieues Climat (partenaire du Climat Libé Tour) sillonne des quartiers populaires un peu partout en France. L’objectif : sensibiliser les jeunes aux questions écologiques, mais aussi développer une «écologie émancipatrice», portée par et pour les habitants de ces quartiers. «On a un enjeu de représentativité. Quand tu as des gens qui ont vécu les mêmes choses que toi et qui te parlent avec une approche concrète, simple, ça permet d’être embarqué», observe Sanaa Saitouli. «Si on ne leur montre pas qu’ils ont le droit à la parole et qu’ils sont légitimes, on n’y arrivera pas», acquiesce Boris Tavernier.
Face à l’urgence, un mot revient souvent : la «coconstruction». Une manière d’en finir, une fois pour toutes, avec la verticalité d’une écologie faite par des élites, tout en valorisant l’expertise des associations et habitants des quartiers populaires - comme sur l’alimentation par exemple. «Tous les citoyens - et notamment les plus exposés - doivent être à la base de la construction des politiques publiques», pointe Hélène Quéau, directrice des actions en France pour Action contre la Faim. De quoi permettre aussi, poursuit Boris Tavernier, que les politiques «arrêtent de faire des propositions de loi qui ne sont pas connectées à la vie des gens».
Mais plus que jamais, insistent les militants associatifs, il est temps de remettre la question des inégalités au centre. Et de comprendre qu’injustices sociales et écologiques sont éminemment liées. «Si on veut faire bouger les choses, il faut le faire en partant des aspirations, mais aussi des contraintes et des ressources des personnes», maintient Hélène Quéau. Alors en attendant de faire naître des solutions à la hauteur des enjeux, Banlieues Climat entend bien continuer de se développer. «L’écologie populaire c’est le futur, souligne Sanaa Saitouli. En tout cas, ce ne sera pas sans nous.»