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Des habitants et des dispositifs pour faire battre les cœurs de ville

Transition écologique : le temps des villes et des territoiresdossier
Par Elsa Martin, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université de Lorraine, laboratoire de sociologie TETRAS.
L’enjeu réside dans la multiplication des boutiques et la pérennisation des activités, dans le but de redorer l’image des cœurs de villes affectés par la vacance commerciale. (Claire Serie/Hans Lucas. AFP)
par Elsa Martin, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université de Lorraine, laboratoire de sociologie TETRAS
publié le 16 septembre 2024 à 12h27

A l’heure de la transition écologique, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), plongée dans les projets et initiatives qui font bouger les politiques urbaines.

Bien que l’imagination constitue souvent un moteur essentiel de l’action publique, favorisant la mise en œuvre de dispositifs innovants, elle fait parfois défaut aux décideurs, contraints de reproduire localement ce qui semble porter ses fruits ailleurs. Il faut reconnaître qu’intervenir sur l’avenir des territoires ne représente guère une tâche aisée, en particulier lorsqu’il s’agit de restaurer l’attractivité. Attirer des jeunes, des cadres ou des ménages aisés, dans des espaces qualifiés comme «en déclin», en raison du vieillissement de la population ou de la perte continue d’habitants à chaque recensement, relève d’un défi considérable. Les recherches que nous avons menées au sein des villes petites et moyennes ainsi que dans des communes rurales en témoignent : de nombreuses initiatives sont déployées afin que de nouveaux ménages s’installent durablement, avec pour objectif d’augmenter les effectifs des écoles, de dynamiser les associations locales et, plus largement, de renforcer les recettes fiscales de la collectivité.

Concernant la dynamique commerciale, l’enjeu réside dans la multiplication des boutiques et la pérennisation des activités, dans le but de redorer l’image des cœurs de villes affectés par la vacance commerciale. À cette fin, des initiatives telles que les «boutiques à l’essai» et autres magasins éphémères se multiplient tandis que des solutions de vente en ligne sont instaurées localement. De manière plus générale, c’est en misant sur le marketing urbain et en investissant dans des campagnes promotionnelles que chacune des villes essaie de se distinguer.

Le patrimoine local, ainsi que la qualité de vie sont vantés, aux côtés d’aspects plus concrets du quotidien, tels que la gratuité des stationnements. La proximité à Paris, lorsque la capitale est suffisamment éloignée pour ne pas constituer une zone de chalandise concurrentielle, est parfois également valorisée. L’objectif est donc d’attirer à la fois de nouveaux commerçants prêts à [s’]investir dans ces espaces urbains et une clientèle potentielle, renouant avec le plaisir de flâner dans les rues des centres-villes.

Néanmoins, les recherches menées auprès des commerçants établis au cœur des villes révèlent qu’ils sont déjà conquis à la cause. Majoritairement résidents du territoire, ce ne sont pas tant les dispositifs mis en œuvre pour les attirer qui ont motivé leur engagement dans l’entrepreneuriat, mais plutôt leurs parcours socioprofessionnels parfois fragiles – qu’il s’agisse de licenciement, du besoin d’une plus grande autonomie dans le travail, de la recherche d’une reconnaissance dans un secteur spécifique, ou encore de la volonté de reprendre une activité familiale.

Cette voie professionnelle, notamment lorsqu’elle prend la forme d’une bifurcation, est parfois encouragée par la vacance commerciale : les locaux disponibles sont envisagés comme de véritables opportunités dans le choix du lieu d’implantation. Toutefois, les baux commerciaux, souvent perçus dans un premier temps comme abordables, s’avèrent bien plus onéreux qu’il n’y paraît en dépit du taux de vacance élevé. Dès lors, les dispositifs de l’action publique peinent à juguler la désillusion rencontrée par certains commerçants. Il faut dire que la catégorie de «commerçants» regroupe des individus aux dispositions sociales et économiques extrêmement variées. De ce fait, les dispositifs mobilisés pour les accompagner sont bien souvent ignorés de ceux qui en auraient pourtant le plus grand besoin.

Si le leitmotiv demeure l’attractivité, notamment dans ces territoires jugés comme en déclin sur le plan démographique, les résultats observés invitent à porter davantage attention aux populations résidantes déjà sur place, tout en considérant que les catégories visées par les dispositifs sont en fait complexes. Bien que les indicateurs quantitatifs soient généralement privilégiés – tels que le nombre de nouveaux commerçants –, c’est en réalité l’analyse fine de leurs profils ainsi que la singularité de chacun d’eux qui devraient retenir l’attention des gestionnaires. En effet, la transposition d’outils éprouvés ailleurs, pour renforcer l’attractivité du territoire se révèle souvent inadéquate face aux spécificités locales et à la complexité que représentent les administrés ciblés par l’action publique. En définitive, ne conviendrait-il pas que les nouveaux imaginaires territoriaux se fondent sur une considération plus appuyée des populations locales ?