Energie, transports, rénovation durable, végétalisation… En 2023, «Libé» explore la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous inédits. Objectif : témoigner des enjeux et trouver des solutions au plus près des territoires. Cinquième étape à Nantes les 18 et 19 novembre.
Longtemps, les maires mesuraient la réussite de leur mandat à la quantité de béton qu’ils auraient réussi à faire couler. La préservation de la biodiversité et la lutte contre les risques d’inondations ou les îlots de chaleur urbains imposent désormais de faire autrement, et de mettre fin à la bétonite aiguë qui s’est emparée de la France des Trente Glorieuses. Nappes de lotissements pavillonnaires, zones commerciales d’entrée de ville avec leurs parkings XXL, ronds-points et échangeurs : en cinquante ans, la France a plus détruit de terres qu’en cinq siècles, comme aime à la répéter le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. Un grignotage des espaces naturels et forestiers lié à l’urbanisation : entre 1936 et 2020, la part de la population française vivant en ville est passée de 53 % à 81 %. Même si la surface artificialisée totale de l’Hexagone reste faible – environ 7 % – ou justement pour cette raison, la tendance lourde était de bétonner sans se poser de questions.
Adoptée en août 2021, la loi climat et résilience a fixé un objectif très ambitieux : une réduction de moitié de l’artificialisation des sols d’ici 2031 (par rapport à la décennie 2011-2021) pour atteindre le «zéro artificialisation nette» (ZAN) en 2050. A cette échéance encore lointaine, toute consommation foncière devra être compensée par la «renaturation» d’une surface équivalente. Comment dès lors absorber l’afflux de population de ces prochaines décennies ? Gérer la circulation ? Permettre à tous les citoyens d’avoir un logement décent tout en préservant la nature ? Bref, comment réinventer la manière dont nous occupons nos terres ? Ce sera l’objet ce week-end de cette cinquième et avant-dernière étape du Climat Libé Tour 2023 qui s’enracine deux jours à l’Hôtel du département de Loire-Atlantique, à Nantes.
«Desserrement résidentiel»
Si le compteur tourne depuis août 2021, de nombreux élus n’ont pas attendu le ZAN pour ériger la sobriété foncière en priorité : c’est le cas à Dainville, commune périurbaine de 5 700 habitants proche d’Arras, dans le Pas-de-Calais. «Dans mon dernier plan local d’urbanisme, j’ai déjà diminué mes surfaces constructibles de 10 hectares afin de préserver les surfaces agricoles, témoigne Françoise Rossignol, sa maire. Si la loi s’applique, je devrais les diminuer encore, or je suis obligée de construire, ne serait-ce que par la loi SRU [loi solidarité et au renouvellement urbain]», qui prescrit au moins 20 % de logements sociaux. De plus, «aujourd’hui, même sans augmentation de la population, il y a un desserrement résidentiel : les couples qui divorcent, les personnes âgées qui vivent plus longtemps et souhaitent rester vivre chez elles», illustre cette élue très impliquée dans la mise en œuvre du ZAN au sein de la Fédération de la conférence des Scot (Schéma de cohérence territoriale).
Comment concilier préservation des terres et crise du logement, fin du monde et fin du mois ? Beaucoup d’élus locaux sont confrontés à ce dilemme. Mais les plus pénalisés par cette nouvelle arithmétique sont, paradoxalement, les maires les plus vertueux, ceux qui ont peu construit au cours de la dernière décennie (et devront construire deux fois moins que… rien) ou qui sont confrontés à des contraintes naturelles (en montagne ou en littoral) les empêchant de développer leur commune. Face à la fronde qui menaçait l’application de la loi, le Parlement a adopté cet été un nouveau texte, porté par le Sénat, visant explicitement à «faciliter la mise en œuvre des objectifs de “zéro artificialisation nette” au cœur des territoires». Les maires ont obtenu un «droit à construire» minimal d’un hectare. Qu’ils pourront utiliser ou non, pour bâtir une école, un gymnase ou des logements.
Millefeuille français
On s’en doute, cette «garantie communale» de 35 000 hectares – soit l’équivalent de la surface qui est artificialisée les pires années – a fait hurler les associations de défense de l’environnement, qui y ont vu un enterrement de première classe du ZAN. Pas le choix, sinon il risquait de finir comme la taxe carbone, carbonisée par le mouvement des bonnets rouges, puis des gilets jaunes – lesquels ont remis la question de la mobilité subie, liée à l’étalement urbain, au cœur des débats. Mais après tout, la démocratie, c’est l’art du compromis et «l’acceptabilité» des grandes réformes environnementales est la condition de leur mise en œuvre rapide. A contrario, les ZFE ou zones à faibles émissions, autre acronyme honni qui leur vaut d’être surnommées «zones à forte exclusion» (sociale) par leurs détracteurs, ont du plomb dans l’aile et voient leur entrée en vigueur sans cesse repoussée, faute pour les maires des grandes villes concernées d’avoir pris le temps de rechercher un consensus.
Encore plus que les ZFE ou les DPE (diagnostic de performance énergétique), le ZAN est devenu la nouvelle ligne de fracture entre la droite d’un côté, la gauche et la majorité présidentielle, emmenée par Christophe Béchu, de l’autre. Fin septembre, Laurent Wauquiez, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, annonçait ainsi, lors du congrès de l’Association des maires ruraux de France, qu’il n’appliquerait pas cette loi «ruralicide». Sous les applaudissements nourris de l’assistance… Approche différente à Nantes où William Aucant, conseiller régional des Pays-de-la-Loire et membre de la Convention citoyenne pour le climat réaffirme haut et fort : «A celles et ceux qui œuvrent pour le ZAN, je dis ceci : ce combat est juste. Pour chaque hectare de terre englouti sous le béton, c’est un pan de notre biodiversité qui s’éteint, c’est une parcelle de notre souveraineté alimentaire qui disparaît!»
Pourtant, nombre d’élus et urbanistes la plébiscitent : sans méconnaître sa difficulté d’application vu le millefeuille français ni son manichéisme (comme de considérer le jardin d’un pavillon comme un espace «artificiel», et un champ bourré de pesticides comme un espace «naturel») ni encore ses effets pervers (une hausse des prix du foncier, car ce qui est rare est cher…), ils louent l’objectif de division par deux du rythme de l’artificialisation des terres pour sa simplicité, sa capacité à fixer un cap, et à devenir une référence partagée. Pour le géographe Daniel Behar, dont l’autre casquette est d’être adjoint à l’Urbanisme dans une petite ville d’Auvergne, le ZAN a insufflé un «nouvel état d’esprit», et contribué à «démocratiser l’aménagement du territoire». Avant, c’était une prérogative de la Datar, dans une approche jacobine verticale, en mode à prendre ou à laisser. Désormais, le ZAN, tout le monde en parle, a un avis, et chacun est incité à réfléchir avant de construire.