Les samedi 2 et dimanche 3 mars, le musée du quai Branly-Jacques Chirac organise une nouvelle édition de «L’ethnologie va vous surprendre !» sur le thème du corps. Partenaire de l’événement, «Libération» publiera le lundi 26 février un supplément dans le quotidien et un dossier spécial à retrouver sur notre site.
Souvent, il est l’homme «par terre», au plus près des sujets qu’il photographie. Camilo León Quijano, né en Colombie et chercheur à l’université d’Aix-Marseille après être passé par Bologne, Bordeaux et l’EHESS à Paris, ne conçoit pas autrement les choses. Au cœur de sa démarche d’anthropologue, la photographie n’est pas seulement un supplément d’âme au carnet de terrain, une illustration. Elle est un véritable «complément», un «moyen d’enquête», «une forme qui permet de comprendre la ville» et d’en dynamiter, au passage, les représentations attendues. Pour son travail de thèse, il choisit ainsi de donner à «voir et entendre» Sarcelles «au-delà du bitume».
«Les photos que je propose ne sont pas celles que l’on attend d’une banlieue, avec ses formes hégémoniques très codifiées, liées à la violence, à la drogue, continue Camilo León Quijano. Les habitants ont d’ailleurs tout de suite interpellé mon regard d’outsider colombien.» Ils lui ont dit : «On en marre des représentations misérabilistes de nous comme des personnes qui n’avons pas de pouvoir d’action.» L’objectif grand angle qui fait être proche du groupe, le noir et blanc qui focalise sans distraire, la contre-plongée qui donne de la force aux corps, la série les Rugbywomen révèle au contraire toute «la force de l’engagement de jeunes joueuses» à l’entraînement sur la pelouse du stade Nelson-Mandela.
«La force qu’elles déploient sur le terrain»
Les collégiennes elles-mêmes en sont surprises en découvrant les images. Elles réalisent «la puissance» de leurs corps, «la force qu’elles déploient sur le terrain», à rebours des assignations de l’espace public. «La photo a permis de confronter mon regard et les personnes de l’enquête avec les représentations du corps des jeunes femmes dans la cité», explique Camilo León Quijano, pour qui «la posture du photographe nourrit la réflexion ethnographique». Le travail ne s’est en effet pas arrêté là. De grands tirages, de trois mètres par quatre, ont été collés aux murs du collège Chantereine pour questionner aussi le regard des Sarcellois et laisser la place à un autre récit, à une altérité.
Avec la photographie, Camilo León Quijano milite aussi pour «une anthropologie publique qui va au-delà du périmètre de recherche et d’enseignement». «Il faut réfléchir aux formes de partage matériel de ce qu’on fait pour faire avancer le débat scientifique, assume-t-il. On est passé par l’observationnel, le phénoménologique, le participatif… Il manque de partager cette connaissance avec un large public issu d’un monde non universitaire.»
«Une bonne photo n’est pas une belle photo»
Son beau livre parue aux éditions de l’EHESS, la Cité : une anthropologie photographique, les publications dans la presse et les expositions qui s’en sont suivies donnent à voir un autre langage sur les banlieues. «En sciences sociales, une bonne photo n’est pas une belle photo avec une balance des blancs parfaite, une composition iconique, estime-t-il. C’est une photo qui questionne et amplifie le regard sur une situation, un corps, un espace.» A Marseille, il enquête à présent sur le ressenti de la température en ville. Cette fois, c’est auprès d’habitants de Belsunce qu’il sera l’ethnologue à l’appareil photo.