Comment réconcilier métropoles et campagnes, périphéries et centres-villes, écologie et habitat ? Plongée, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) dans les initiatives qui améliorent les politiques urbaines.
Les expériences de vie sont évidemment nombreuses ; elles varient selon l’âge, l’habitat, la profession, l’identité de genre, les pratiques culturelles, les croyances… Mais elles ne sont pas toutes reconnues et respectées de la même façon, loin s’en faut. Certaines, perçues comme majoritaires, paraissent aller de soi, et bénéficient d’un accès facile aux médias. D’autres sont tenues à l’écart et restent invisibles. Cette injustice frappe particulièrement les quartiers populaires (les cités) et révèle la violence des discriminations classistes et raciales qui les affectent.
Les modes de vie «en quartier» peinent à se faire connaître et reconnaître. En tant que chercheur habitant en quartier populaire et y faisant régulièrement recherche, je mets au cœur de mon activité cet enjeu de «visibilité», en attention scientifique et politique pour ces vies invisibilisées et silenciées, disqualifiées et déconsidérées, entre mépris de classe et violence ouvertement raciste. Ces discriminations «éloignent» certaines existences ; les militants de gauche en prennent conscience depuis quelques années et tentent de renouer avec les citoyens de quartier.
Défaire les hiérarchies blessantes et oppressives
Une façon classique et stimulante pour restituer les expériences, et donc pour les partager, est d’en tenter le récit. L’enjeu est d’autant plus fort pour les personnes en position minoritaire ou marginalisées. La «mise en récit» contribue à une «mise en présence». Elle facilite la connaissance, qui est avant tout une inter-connaissance avec l’espoir de progresser collectivement vers une inter-reconnaissance. En ce sens, «faire récit de son expérience» doit être reconnu comme un authentique droit démocratique. Pouvoir faire connaître qui on est et ce que l’on vit relève d’une cause commune, au cœur des luttes pour l’égalité.
Ce «faire-récit» reconnu à toutes et à tous s’inscrit donc dans une revendication de justice car il contribue à défaire les hiérarchies blessantes et oppressives affectant les présences (prendre part) et les visibilités (être connu et reconnu) au sein de la société. Concrètement, en faisant récit, les personnes construisent une «archive sensible» de leur vie, documentent les injustices et inégalités qui les meurtrissent, formulent les questions et enjeux qui leur importent, favorisent des espaces de rencontre où les expériences peuvent s’instruire réciproquement et, finalement, développent une autre «écologie de l’attention» en attirant le regard et l’écoute vers d’autres réalités.
Une source d’émancipation
Ce «faire-récit» est une capacité politique (un pouvoir d’agir) qui s’éduque collectivement, qui s’apprend en faisant ensemble. Dans le cadre de recherches-actions, il est possible d’avancer en ce sens avec les personnes concernées en soutenant leurs efforts pour faire (re)connaître la valeur de leur milieu de vie, pour partager leur condition et exprimer leurs aspirations, pour inventer les supports (fanzine, vidéo, podcast, blog, réseaux sociaux…) pour parler de ce qu’elles vivent et restituer la richesse (culture, entraide, voisinage, lutte, mobilisation) de leurs lieux de vie.
La multiplication de ces «récits d’existence» représente un possible démocratique, porteur d’espoir, source d’émancipation – une voie qui ne substitue pas à d’autres, en particulier aux engagements associatifs et aux mobilisations collectives, mais qui apporte sa contribution pour que les vies en quartiers populaires conquièrent la présence et la visibilité qui leur reviennent légitimement.