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Climat Libé Tour Bordeaux : tribune

Ecoféminisme : d’une nature subie à une écologie émancipatrice

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La journaliste et essayiste Pascale d’Erm est spécialiste des mouvements écologistes menés par des femmes à travers le monde.
Wangari Maathai a fondé le mouvement de la Ceinture verte (Green Belt Movement) au Kenya en 1977. (William Campbell/Sygma via Getty Images)
par Pascale d’Erm, journaliste, essayiste et réalisatrice, spécialisée dans les questions de nature et d'environnement
publié le 23 janvier 2024 à 11h27
Transports, rénovation industrielle, végétalisation… En 2024, Libé explore la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous gratuits et grand public. Objectif : trouver des solutions au plus près des territoires. Première étape de notre seconde édition, Bordeaux, les 9, 10 et 11 février (entrée libre sur inscription). Un événement réalisé en partenariat avec la ville de Bordeaux et le département de la Gironde avec le soutien de l’Université de Bordeaux, le Crédit coopératif, l’Agence de la Transition écologique (Ademe), la Fondation Jean-Jaurès, le magazine Pioche ! et Vert le média.

L’écoféminisme a émergé sur le terrain de la convergence des luttes écologiques, pacifistes et féministes, contre toute forme de domination du vivant. Né dans les années 80, ce mouvement a désormais ses rôles modèles, ses batailles clés, ses valeurs, sa culture.

Sur le terrain, les femmes ne se demandent pas comment accéder au pouvoir : passé un certain stade, quand elles ne peuvent plus assurer les conditions d’une vie décente à leurs familles, elles s’en emparent. Dans des pays patriarcaux où l’autorité et la domination masculine sont encore très marquées, cela donne des mouvements citoyens surprenants comme en Inde où des femmes, analphabètes et issues de castes inférieures, se saisissent de la préservation des forêts – comme dans le mouvement Chipko Andolan (1) – ou, plus récemment, de l’eau. Revêtant des saris turquoise, ces «ingénieures aux pieds nus» creusent des puits, élèvent des digues ou renforcent les bassins de retenue d’eau de mousson, les johad. En quelques mois, l’écosystème passe du gris au vert-bleu, pour le plus grand bien de la communauté. L’écoféminisme émancipateur est le fruit d’une sororité écologique active. Grâce à la confiance qu’elles se portent et à l’entraide qu’elles se donnent, ou aux formations et aux connaissances nouvelles qu’elles acquièrent, les femmes en sari bleu hier battues et insultées dans leurs villages sont désormais appelées «madame».

Ailleurs, en Afrique, celles qui plantent des arbres bénéficient d’un modèle exceptionnel : Wangari Maathai, militante pour les droits humains devenue ministre de l’Environnement, et Prix Nobel de la paix en 2004 pour avoir, la première, relié les questions de l’écologie, de l’égalité hommes-femmes et de la paix. Au sein du mouvement de la ceinture verte, les tree sisters («sœurs des arbres»), comme elles se désignent tendrement entre elles, ont replanté plus de 53 millions de bosquets ou de forêts, et développent leur autonomie financière grâce aux pépinières qu’elles créent. Après avoir passé trois ans à rencontrer et entendre ces femmes sur tous les continents (2), je suis persuadée que la transformation de territoires passe par ces groupes dont le flot d’actions constitue les ruisseaux du monde nouveau.

Alors, que nous disent ces écoféministes d’ailleurs à nous, ici et maintenant ? Les yeux dans les yeux, avec fierté, elles nous rappellent que la lutte naît de la nécessité de préserver les conditions élémentaires de la vie – eau, air, sols, animaux (et la chaîne entre ces différents règnes) – et que si nous nous croyons à l’abri des désordres climatiques, c’est une illusion. L’actualité leur donne raison tous les jours. Elles interpellent, dénoncent, provoquent, cultivent les performances artistiques où leurs «corps–territoires» demandent égalité et réparation et nous invitent à les soutenir dans leurs luttes, nous tous. Sommes-nous prêt·e·s à danser, rire, ou nous battre dans la joie et la détermination, comme nos sœurs, contre un système économique qui nie les principes élémentaires de la vie ?

Pascale d’Erm est également l’autrice de l’Ecoféminisme en questions, un autre regard sur le monde, La Plage éditions, 2021 et Sœurs en écologie, éditions La Mer salée, 2017.

(1) Chipko Andolan ou mouvement de l’étreinte (1973-1980) : des paysannes illettrées d’une région reculée de l’Himalaya encerclent des arbres avec leurs bras pour empêcher leur destruction. Contre toutes attentes, elles gagnent le combat. Ce mouvement a été le déclic de l’engagement d’une autre figure indienne de l’écoféminisme : Vandana Shiva.

(2) La collection documentaire «Sœurs de la terre», pour Arte, sera diffusée courant 2024.