Libération, partenaire du nouveau cycle de conférences «Les humains dans l’espace» organisé par la Cité des sciences et de l’industrie, proposera régulièrement articles, interviews ou tribunes sur les sujets abordés. A suivre la conférence «Vivre dans l’espace» le samedi 21 octobre à 16 heures.
Un kilo d’oxygène, un kilo de nourriture et trois litres d’eau quotidiens. Ce nécessaire vital pèse bien lourd quand il s’agit d’organiser la survie d’astronautes pour de futures missions spatiales de longue durée. Car dans l’espace, chaque gramme compte. Pour résoudre l’équation, l’Agence spatiale européenne (ESA) planche depuis plus de trente ans déjà sur le projet Melissa (Micro-Ecological Life Support System Alternative).
Le programme vise à recycler les déchets générés lors d’une mission spatiale pour les transformer en ressources. En d’autres mots, il s’agit de créer un écosystème ultra-simplifié, incluant notamment des plantes et des micro-organismes (et des humains, donc !) «L’idée, c’est de partir du CO2, de l’urine, des matières fécales produites par les astronautes, entre autres déchets organiques, pour les transformer progressivement en nourriture, en eau et en oxygène», résume Chloé Audas, ingénieure au sein du projet. Loin d’une imagerie conquérante et glamour, l’aventure spatiale est aussi une affaire de déjections, de sueur, de bactéries et une quête de sobriété extrême. «Nous cherchons à créer un système circulaire efficace et fiable, qui consomme le moins d’énergie possible. Tout le contraire d’une usine à gaz.»
Solutions ponctuelles et locales
De là à penser que ces recherches spatiales puissent trouver un intérêt pour notre vieille planète, il n’y a qu’un pas, franchi depuis longtemps déjà par les équipes scientifiques de l’ESA et leurs partenaires. «Nous travaillons sur l’économie circulaire depuis plus de trente ans ; ces connaissances peuvent être utilisées pour l’environnement terrestre», confirme Christophe Lasseur, qui pilote Melissa. La recherche spatiale pour mieux vivre sur Terre ? C’est la conviction de Chloé Audas : «Au sein de l’ESA, nous travaillons à très long terme, à un horizon lointain et incertain : 2040 au plus tôt. En attendant, nos avancées peuvent être transférées concrètement pour répondre aux défis qui sont les nôtres aujourd’hui sur Terre : la gestion des ressources et des déchets.»
Les connaissances du projet Melissa peuvent en effet favoriser des solutions ponctuelles et locales au niveau d’un bâtiment, d’un village ou d’une école, par exemple à travers l’usage de membranes ultrafines filtrant les eaux grises de douches ou de cuisines. Des pistes intéressantes mais qui ne sont pas à l’échelle des écosystèmes de la planète. «L’économie circulaire ne suffit pas si elle s’appuie sur des logiques extractives et capitalistes inchangées», tranche la philosophe Ségolène Guinard, qui a travaillé en lien avec l’équipe de Melissa sur l’écologie des lieux de vie capsulaires.
Habiter autrement la Terre ?
Alors que la catastrophe climatique et l’effondrement des systèmes océaniques se conjuguent au présent, les perspectives lointaines de voyages extraterrestres interrogent. Pour la philosophe, l’intérêt de ces recherches spatiales est d’ordre culturel, bien plus que technologique. Prendre la mesure des contraintes extrêmes de la vie dans l’espace pourrait-il créer un sursaut, un désir d’habiter autrement la Terre ? «Convoquer le spatial revient bien souvent à alimenter une projection perpétuelle, l’idée d’un futur. Mais il est urgent d’atterrir, de trouver un contrepoint à l’existence capsulaire vers laquelle nous dirigent la bio ingénierie ou l’usage de l’IA au service de l’agriculture», presse Ségolène Guinard.