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Emploi : renouer avec «l’esprit du RMI»

La réforme du RSA a réactivé, à gauche et chez les acteurs de la solidarité, la nécessité de défendre un contre-modèle apte à faire reculer la pauvreté. Exemple avec le «revenu d’autonomie».
A Givors (Rhône), le 24 octobre 2023, dans une agence Pôle Emploi devenu depuis France Travail. (Romain Etienne/Item pour Libération)
publié le 2 février 2024 à 2h50
Tous les territoires engagés pour des solutions solidaires, le département de la Gironde, la ville de Bordeaux, la fondation Jean-Jaurès, Libération et plus de 60 organisations composant le Pacte du pouvoir de vivre proposent de débattre de six grandes solutions. Solidarité, emploi, alimentation, pour en discuter : rendez-vous le 9 février prochain dans les locaux du département de la Gironde et les 10 & 11 février à l’université de Bordeaux pour le « Climat Libé Tour » (entrée gratuite sur inscription).

Le 1er janvier dernier est entrée en vigueur la loi pour le plein-emploi, qui réforme le Revenu de solidarité active (RSA). Au programme, pour tous les bénéficiaires dès 2025 : un accès conditionné à quinze heures d’activités hebdomadaires, ainsi qu’un nouveau régime de sanction qui privera le citoyen de son droit en cas de non-respect des obligations.

Conditionner la solidarité et punir les pauvres récalcitrants ? C’est peu dire que le texte – et les stéréotypes qu’il installe – a choqué la gauche et les syndicats, et catastrophé des acteurs de terrain. Ces derniers redoutent que le dispositif augmente le non-recours au droit, paupérisant et excluant davantage. Or la situation est déjà critique : en 2023, selon l’Observatoire des inégalités, 8 % de la population vivait en France sous le seuil de pauvreté, soit 5,3 millions de personnes.

Pour beaucoup, cette réforme solde un héritage social jugé précieux autant qu’elle franchit une ligne rouge. «En introduisant la conditionnalité et en promouvant la sanction, le RSA version 2024 n’a jamais été aussi éloigné de l’esprit du RMI tel qu’imaginé par le gouvernement Rocard en 1989», témoigne Guillaume Allègre, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), et auteur de Comment verser de l’argent aux pauvres ? (PUF, février 2024). La fin d’une certaine idée de la solidarité nationale en France ? Pas si sûr, estime l’économiste. Car «cette réforme a réactivé, à gauche, la réflexion autour du revenu minimum». Et la nécessité de pousser des alternatives.

Un revenu d’autonomie basé sur cinq piliers

Incarner un contre modèle, c’est justement l’ambition du «revenu d’autonomie», une proposition portée par un collectif d’une vingtaine de départements réunis autour du président (PS) du département de la Gironde, Jean-Luc Gleyze, avec l’appui de chercheurs en économie. «C’est le prolongement du revenu de base, une idée née en 2016 et sur laquelle nous avons beaucoup travaillé avec la fondation Jean-Jaurès, le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap) et l’Institut des politiques publiques (IPP)», témoigne l’élu. L’objectif : «Un contrat social dans lequel la confiance l’emporte sur la méfiance, et miser sur l’accompagnement pour faire régresser la pauvreté. En somme : renouer avec l’éthique et l’esprit du RMI.» Pour y parvenir, ce revenu d’autonomie est construit sur cinq piliers : l’inconditionnalité, le versement automatique comme arme contre le non-recours (il atteint 35 % pour le RSA), l’ouverture aux jeunes majeurs (aujourd’hui très majoritairement exclus du RSA), la mise à niveau du montant pour dépasser, à terme, le seuil de pauvreté, et un accompagnement avec garantie d’emploi. A la différence du revenu universel, le revenu d’autonomie est dégressif et dirigé vers les personnes qui en ont besoin.

La proposition rencontre, forcément, un écho favorable auprès des associations de solidarité. «Qu’on l’appelle revenu de base, d’autonomie ou garanti, l’essentiel est qu’il soit pérenne et sécurisé, et qu’on abandonne ce RSA qui ne fait qu’entretenir la misère», témoigne Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart-Monde, complétant les critères propriétaires : «Ouverture aux 18-24 ans et inconditionnalité, mais aussi individualisation, et surtout non-impact sur les droits connexes (allocations familiales, aide au logement, etc.)».

«Points de crispation…»

Reste, pour le revenu d’autonomie, un certain nombre de défis. Le principal est bien sûr politique : convaincre les citoyens et trouver des relais nationaux. «Politiquement, le revenu minimum est un objectif complexe, un vrai chemin de crête, analyse Guillaume Allègre (OFCE) : il s’agit de rejeter le cynisme de ceux qui tapent sur des pauvres supposés non méritants, tout en évitant une forme d’utopie, celle de droits sans devoirs.» Une rude bataille : «Au sein de la population, le consensus est aujourd’hui davantage sur la valeur travail, estime l’économiste… L’inconditionnalité et l’individualisation, en particulier, sont des points de crispation.» Au cœur des résistances figure la question du financement. «L’idée serait de fusionner le RSA et la prime d’activité, et de demander à l’Etat d’abonder le complément», explique Jean-Luc Gleyze.

Pour donner au revenu d’autonomie sa chance, ses promoteurs se concentrent pour l’heure sur un premier combat, qui fut infructueux en 2019 avec le revenu de base : le droit à l’expérimentation. «Cela permettrait de vérifier si les personnes très pauvres s’y retrouvent, et d’identifier les éventuels effets de bord d’un tel mécanisme», valide Marie-Aleth Grard (ATD Quart-Monde). «Il y a cinq ans, la majorité a empêché la tenue d’un débat parlementaire. Il est temps que celui-ci ait lieu, et que notre proposition puisse a minima être testée dans les départements qui la soutiennent», plaide Jean-Luc Gleyze, pour qui les territoires ont ici une vraie carte à jouer. Son département, la Gironde, planche d’ailleurs sur un revenu d’autonomie pour les jeunes, prévu pour 2026.