A l’heure de la transition écologique, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), plongée dans les initiatives qui font bouger les politiques urbaines.
Dans l’imaginaire collectif, les raisons d’aller s’installer en périphérie d’une grande ville sont légion. Profiter d’un jardin individuel dans un environnement plus calme. Payer moins cher son logement. Bénéficier d’une zone urbaine à proximité sans les inconvénients liés à la circulation, au bruit… Ce changement de vie, les Français sont nombreux à en avoir rêvé, en particulier pendant le confinement. Saint-Loubès, terre de vignes, de coteaux et de plaines, à seulement 15 kilomètres au nord-est de Bordeaux, n’a pas échappé à cet engouement. Pour s’en convaincre, il suffit de se balader dans les quartiers où les logements pavillonnaires ont poussé comme des champignons sur la commune. La petite ville, très attractive grâce à son accès par l’autoroute ou sa gare et ses nombreux équipements et services, compte désormais 10 000 habitants. Depuis les années 70, sa population a presque triplé, avec l’arrivée, ces dernières années, de nombreux citadins de la métropole bordelaise désireux de concrétiser cet imaginaire aux nombreux atouts : la ville à la campagne.
Pour «absorber» ces nouveaux venus, le schéma urbain aurait pu rester relativement classique : des équipements publics principalement installés autour de l’ancien bourg dévitalisé et une commune qui grossit progressivement en cercle à partir de ce même centre. C’était sans compter la mobilisation – relativement inédite à l’échelle du département — d’une partie des citoyens de Saint-Loubès qui ont cherché à repenser l’urbanité à l’aune de la transition écologique en luttant notamment contre l’étalement urbain. L’association Saint-Loubès en transition, créée en 2016, aura contribué à créer une dynamique. Intrigués par cette trajectoire, deux chercheurs, Julie Ambal, sociologue et architecte paysagiste, et Xavier Guillot, ex-professeur à l’Ecole nationale d’architecture de Bordeaux et désormais enseignant chez son homologue marseillaise, ont tenté pour Popsu de comprendre comment cette petite ville sous influence bordelaise a travaillé d’arrache-pied pour permettre un cadre de vie acceptable sous la pression démographique.
«Saint-Loubès n’avait plus vraiment de vision»
Leur travail a commencé en 2018 dans le cadre de Popsu territoires. Pendant des semaines, le duo a parcouru la ville en long en large et en travers pour s’imprégner du territoire et créer des liens avec ses habitants. «Jusqu’au jour où nos recherches ont pris un étonnant tournant. Emmanuelle Favre, une citoyenne engagée rencontrée au fil de notre périple, a décidé de se présenter aux élections municipales dans l’espoir de faire bouger la politique urbaine… et a été élue maire en 2020 ! Ce qui avait commencé par un accompagnement désintéressé nous a finalement amenés à participer à la révision du PLU. Une aubaine !» rembobine Xavier Guillot, qui a lui même grandi dans une commune voisine. Au programme : artificialiser le moins possible, préserver les surfaces agricoles et naturelles, viser une meilleure autonomie alimentaire, développer les mobilités douces… «Toutes ces idées, l’équipe sortante les a balayées lors du précédent mandat», se remémore, amère, la nouvelle édile.
La pression liée à la demande en logements individuels, elle, n’a pas attendu le calendrier électoral pour modifier le paysage loubésien. Des terrains avaient déjà été coupés en quatre pour multiplier les maisons, comme le permet la loi Alur depuis 2014, des allées ont été artificialisées, l’écoulement des eaux est devenu plus complexe dans certaines zones. «Saint-Loubès n’avait plus vraiment de vision. Si les gens viennent vivre ici, ce n’est pas pour que ça devienne Lormont [commune limitrophe de Bordeaux, ndlr]. Il faut pouvoir conserver les marqueurs de la campagne qui l’ont rendue désirable», plaide Emmanuelle Favre. «La quête d’une urbanité campagnarde», résume Xavier Guillot.
La collision entre deux mondes
«Sur le terrain, nous voulons à tout prix limiter l’effet ghetto. On a des petites routes, il ne faut pas que les voitures soient trop nombreuses, qu’on ne sache plus où se garer. Le quartier où étaient concentrés tous les lieux publics, ça fonctionnait à 5 000 habitants, mais plus à 10 000. On a réfléchi à une nouvelle organisation spatiale pour délocaliser certains services et désengorger le centre», détaille la maire. A l’été 2023, Saint-Loubès a ainsi acheté un domaine de dix hectares anciennement viticole, au sud de la ville, pour y accueillir, d’ici 2027, une extension scolaire, une ferme municipale pour participer à l’alimentation des cantines et un parc public. Face à cette nouvelle feuille de route, des opposants ne cachent pas leur perplexité. Beaucoup auraient préféré attirer de nouvelles entreprises, plus intéressantes fiscalement. «Tout un paradoxe avec lequel je me débats et qui me semble incohérent avec le ZAN», dénonce Emmanuelle Favre.
Sans surprise, pour ancrer le récit dans le réel et s’adapter à la fois à l’urgence climatique et sociale, la question de la construction des logements sociaux a également été un challenge. «On est en retard sur les objectifs», admet l’élue. Pour préserver les coulées vertes en centre-ville, ne plus attaquer les terres agricoles et élargir les petits hameaux, le PLU va donc privilégier la construction de résidences en R + 2 maximum (sur deux niveaux donc) afin de répondre à la demande. L’équipe municipale se penche aussi sur la manière de réinvestir les logements vacants ou les «dents creuses» de la zone industrielle. Toujours dans le souci de ne pas dénaturer la ville. «Evidemment, dans les faits, il arrive que ça coince. Les logements sociaux, c’est bien, mais pas à côté de chez soi, nous ont fait savoir plusieurs habitants», note Emmanuelle Favre.
Ainsi, dans cette ville en transition, il n’est pas rare d’assister à la collision entre deux mondes. Un exemple parmi d’autres : les néo-Loubésiens auront «plus facilement tendance à bâtir des murs et des palissades entre eux et leurs voisins pour préserver une certaine forme d’intimité», décrit la maire. Une «culture de la clôture» que ne partagent pas de nombreux historiques lassés de voir des barricades se dresser dans leur ville. «Dans ces moments, conclut la maire de Saint-Loubès, la notion d’acceptabilité devient cruciale. Pour anticiper la grogne, on organise régulièrement des débats.» Un nouveau chapitre, qui, pour fonctionner, nécessite d’être écrit collectivement.