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Libération
L'Université Libé: reportage

En Normandie, économie circulaire et politique RSE font bon ménage

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Dans la campagne normande, entre Fécamp et Le Havre, WeeeCycling récupère les déchets contenant des métaux stratégiques pour les remettre en circulation. Mais ce n’est pas la seule de ses vertus.
(baranozdemir/Getty Images)
publié le 24 mai 2023 à 14h59
Le 31 mai 2023, Libération et l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne lancent «l’Université Libé». Europe, énergie, climat, inégalités sociales, justice fiscale : une journée pour faire débattre les différents courants progressistes. En partenariat avec le Crédit coopératif, la Mutualité française, ESS France, Backseat et la Fondation Jean-Jaurès. Entrée libre sur inscription.

A Tourville-les-Ifs (Seine-Maritime), dans le pâturage normand entre Fécamp et Etretat, un grand hangar blanc entouré de ruches cache bien son jeu. Dans le ventre de la bête, des monceaux de câbles entremêlés, des tas de cartes mères, des téléphones portables par centaines, des tonneaux de liquides mystérieux et des antennes relais, gisant au sol. Il n’est pas si difficile d’imaginer que se joue ici un agenda national : celui de parvenir à l’économie circulaire totale pour la gestion des métaux stratégiques. En finir avec l’extraction, qui arrive à court de sites à forer.

«On envoyait nos déchets au loin»

Le site traite 10 000 tonnes de déchets par an, des flottes d’imprimantes de bureaux de la Défense aux boues industrielles des industries pharmaceutiques en passant par les balayures des fabriques de luxe ou des groupes aéronautiques. «En France nous devons exploiter les seules mines que nous avons et ce sont les déchets. Nous sommes les seuls au monde à proposer des métaux critiques purs issus à 100% de déchets», revendique Serge Kimbel, le PDG. «Quand on sait que l’extraction de métaux stratégiques est responsable de 2% des émissions carbone [l’aviation commerciale de 2,6%, ndlr], nous mesurons bien notre impact.» Ce procédé réduit de 98% l’empreinte carbonée générée par l’extraction. Pas étonnant que Weeecycling fasse partie des cinq lauréats de l’appel à projets «Métaux Critiques» lancé par le gouvernement en janvier 2022.

En 2008, avec 5 000 euros en poche, Serge Kimbel, ingénieur formé à l’école des travaux publics de Paris, a créé Morphosis, au Havre, concentré sur le traitement des composants électriques et électroniques. C’était bien avant la loi de Transition énergétique pour la croissance verte votée le 17 août 2015 par Ségolène Royal, qui entérinait la volonté de se diriger à l’échelle nationale sur une revalorisation de certains déchets. «A l’époque, le recyclage des métaux stratégiques ne consistait qu’en de la logistique : on envoyait nos déchets au loin. Je regrettais que nous n’ayons pas de capacité locale à analyser puis traiter les matières», détaille Serge Kimbel en montrant les immenses bacs d’électrolyse où se forment des cristaux de métaux. En 2017 et 2018 la raréfaction des matières le pousse à multiplier ses dispositifs de traitement des déchets, donnant naissance à Weeecycling en 2019.

«Il faut que tout ait du sens»

Une petite partie du hangar est réservée aux tests et au tri des produits potentiellement réutilisables. Des téléviseurs, des ordinateurs, des téléphones sont testés par une équipe de professionnels avant d’être remis en circulation dans des éco-organismes locaux. Les opérations de séparations mécaniques se font en collaboration avec tout un écosystème local de travail adapté : une entreprise interne à Weeecycling, WeeeEA, a été montée à 50% avec la Ligue havraise, première association pour l’aide et l’accompagnement aux personnes en situation de handicap. Une idée de politique RSE (responsabilité sociétale des entreprises) qui tient à cœur à Serge Kimbel : dès 2008, il avait monté un partenariat avec l’Union nationale des entreprises adaptées. Une ouverture qui s’est élargie depuis avec des recrutements de publics en insertion, avec le réseau Envie. «Je considère que c’est un cercle vertueux qui dépasse ce que nous produisons au quotidien, qui dépasse l’impact environnemental, il faut que tout ait du sens», soutient Serge Kimbel.

Cette politique de mixité qui ne s’arrête pas au recrutement. Ainsi, les 130 employés du site de Tourville-les-Ifs (dont 30 sont concernés par le handicap ou l’insertion) sont tous et toutes invités à des réunions hebdomadaires appelées des «causeries» : «C’est dans le cadre de ces discussions que nous avons élaboré nos valeurs : “We reduce, we help, we say, we do” [“nous réduisons, nous aidons, nous disons, nous faisons”, ndlr]», souligne Serge Kimbel, très fier du chemin parcouru grâce à son intuition et ses équipes. L’ingénieur envisage désormais de se lancer dans la formation : «Mon rêve est de créer une école où former ensemble les ingénieurs comme les manœuvres, car l’intégration en entreprise reste à mon sens sous développée : les gens des bureaux et ceux des entrepôts doivent travailler de concert, alors pourquoi ne pas les former ensemble ?»