Comment faire rimer éducation et innovation ? A l’occasion des 20 ans du Café pédagogique, Libération organise une journée de débats et d’échanges, le 25 novembre, Porte de Versailles à Paris, lors du Salon européen de l’éducation. Retrouvez tribunes, articles et interviews dans le dossier thématique dédié à l’événement.
Elu président de la mutuelle MGEN depuis juillet 2021, Matthias Savignac a commencé sa carrière en tant qu’enseignant. Spécialisé auprès des élèves en difficulté, il milite pour un enseignement différencié et inclusif.
Votre carrière a commencé dans les salles de classe. Comment avez-vous décidé de devenir enseignant ?
L’enseignement n’était pas ma vocation dès le départ. J’ai pas mal louvoyé dans mon parcours scolaire, et c’est pendant mon service militaire que je suis devenu éducateur, et que j’ai par la suite demandé à pouvoir dégager quelques jours pour préparer les concours : le CAPES d’anglais et le concours des professeurs des écoles. J’ai eu celui des professeurs des écoles et j’ai été nommé sur un poste trois jours après la rentrée, sans même être formé, pour remplacer une enseignante arrêtée. Et je me suis retrouvé dans une classe de « petits-tout petits » en maternelle. Heureusement que j’avais une ATSEM formidable à mes côtés.
Pourquoi avoir décidé de consacrer votre carrière d’enseignant aux élèves les plus en difficultés ?
J’avais pris un temps partiel pour des raisons familiales, ce qui a limité mon choix de candidature pour les affectations. C’est ainsi que je me suis retrouvé en poste en Section d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa) en collège dans le nord de l’Isère. J’y ai passé quatre années magnifiques.
Qu’est-ce qui vous a autant plu dans l’enseignement adapté ?
C’est vraiment le sentiment d’être utile. La Segpa, c’est la notion du collège pour tous, de l’école inclusive, mais avec de l’enseignement général adapté. Après une année, j’ai donc décidé de passer le CAPA-SH, un diplôme d’enseignant spécialisé. L’avantage de la Segpa, c’est que j’avais 14 ou 15 élèves, cela permet d’avoir du temps à accorder à chaque élève. Plus tôt dans ma carrière, j’avais été frustré, face à des classes d’une trentaine d’élèves, de ne pas pouvoir accompagner les élèves comme je l’avais imaginé.
Lorsqu’un élève est sur le point d’être considéré comme décrocheur, comment, en tant qu’enseignant, avez-vous appris à le rattraper ?
Quand un gamin en quatrième ne sait pas lire, vous ne lui apprenez pas à lire avec les manuels scolaires de CP : vous êtes obligés de créer vos propres supports, de vous adapter à ce qui l’intéresse. Et je crois que c’est vraiment là, en Segpa, que j’ai touché du doigt ce qu’était vraiment la pédagogie. C’est ce qui me laisse à penser que la meilleure formation pour les enseignants, ce n’est pas la filière généraliste mais l’enseignement adapté : c’est là qu’on acquiert des compétences pour faire de la pédagogie différenciée.
Quels sont les principaux obstacles à l’apprentissage d’élèves qui sont à la peine ?
Je pense qu’un enseignant qui ne va pas bien n’enseigne pas bien. On parle beaucoup de crise des vocations aujourd’hui mais ce n’est pas parce que ce n’est pas notre vocation qu’on le fait mal. C’est plutôt parce que le contexte dans lequel on le fait devient repoussoir. Et, MGEN contribue à développer des solutions pour la santé des enseignants, leur qualité de vie au travail et leur bien-être souvent en lien avec le ministère de l’Education nationale (lieux d’écoute et d’accueil, Vocaliz’, etc.), un préalable en termes de pédagogie.
Mais le plus gros du boulot, c’est de changer l’image que les élèves ont d’eux-mêmes car c’est plus facile de se conformer à ce que l’on pense d’eux que de lutter contre. Il y a un vrai devoir de l’école de lutter contre cette image, pour que l’on ne tombe pas dans les caricatures. Les élèves les plus en difficulté grandissent bien souvent dans des contextes familiaux, sociaux et économiques très lourds. Le but de l’école n’est pas de former des personnes employables mais d’en faire des personnes capables d’exercer pleinement leur citoyenneté. Et, lorsque je retombe sur d’anciens élèves de Segpa qui ont fondé une famille, trouvé un travail, et qui sont des membres utiles de la société, je me dis que c’est absolument remarquable, car ils revenaient de loin.