Menu
Libération
Les journées du vivant et de la Terre: rencontre

«En stérilisant tout, on finit par tomber malade»

Les journées du vivant et de la Terre à Rouendossier
L’historienne de l’alimentation Marie-Claire Frédéric plaide pour «l’art de cuisiner avec des microbes». Contrairement aux idées reçues, cela rendrait nos préparations plus digestes.
La fracture date des années 1850. Louis Pasteur étudie le processus de fermentation et découvre que des microbes en sont responsables. Or, à l’époque, les microbes sont uniquement associés aux maladies. Pendant un siècle, l’industrialisation va s’efforcer de tout aseptiser. (Loretta Felli/Photononstop. AFP)
publié le 2 octobre 2023 à 1h16
Conférences et débats, rencontres avec des biologistes, anthropologues, agriculteurs, écrivains… Du 13 au 15 octobre à Rouen, la fédération Biogée organise les journées «Naturellement !». Thématique de cette deuxième édition : les microbiotes, indispensables microbes pour la santé et l’environnement.

Des bienfaits d’une croûte de saint-nectaire à ceux du chou fermenté qui aiderait à digérer. Historienne de l’alimentation, Marie-Claire Frédéric (1) nous parle de la fermentation en cuisine.

Un mot sur la fermentation. Pouvez-vous nous décrire ce procédé ?

La fermentation, c’est l’art d’utiliser des micro-organismes pour préparer des aliments. En résumé, c’est cuisiner avec des microbes. On pense automatiquement au fromage, mais beaucoup d’autres aliments – je dirai un tiers de notre régime – sont fermentés. Ça peut être le pain via les levures, les légumes comme le chou, les olives ou les cornichons, qui possèdent des bactéries lactiques qui effectuent une fermentation naturelle. D’ailleurs avant, on n’utilisait pas le vinaigre qui accélère seulement le processus. Sans oublier les boissons : vin, bière, cidre, etc.

Le processus de fermentation a toujours fait partie de notre alimentation ?

Les hommes l’utilisent depuis la préhistoire afin de conserver les aliments. Le fromage, par exemple, servait à garder le lait consommable pendant des années. On faisait aussi fermenter les poissons, le hareng dans du sel, les anchois, le saumon gravlax… Autre avantage, la fermentation rend les aliments plus nutritifs. Elle les transforme chimiquement et leur apporte de nouvelles vitamines, des acides aminés et organiques. Elle opère une prédigestion et, contrairement à ce que l’on pense, les rend plus facile à digérer. Il n’y a rien de plus digeste que le chou fermenté. Grâce à lui et aux enzymes produites, l’organisme peut mieux assimiler la charcuterie qui l’accompagne.

Pourtant, à un moment donné, la fermentation est passée de mode…

La fracture date des années 1850. Louis Pasteur étudie le processus de fermentation et découvre que des microbes en sont responsables. Or, à l’époque, les microbes sont uniquement associés aux maladies. Pendant un siècle, l’industrialisation va s’efforcer de tout aseptiser. Les aliments sont produits en masse, stérilisés, pasteurisés. Au passage, ils perdent les bienfaits de la fermentation. Une tendance encore renforcée ces dernières années, avec le Covid.

Face à cette hygiénisation de la société, certains revendiquent le bienfait des microbes ?

Oui, c’est paradoxal, mais il me semble que nous sommes à un tournant. En cuisine, il existe un vrai engouement pour les pratiques traditionnelles. C’est l’explosion des microbrasseries, des maraîchers qui font fermenter leurs légumes, des boissons comme le kéfir, le kombucha, impossibles à trouver il y a dix ans encore. Les consommateurs veulent reprendre le contrôle de leur alimentation. En médecine, on parle également davantage du microbiote, des micro-organismes utiles. En réalité, les microbes présents sur les aliments sont les mêmes que ceux dans notre corps. Manger des produits fermentés aide le microbiote à être en meilleure santé. Ainsi, si l’on prend le lait cru. On s’est rendu compte que la croûte du saint-nectaire, au lait cru donc, hébergeait un consortium de bactéries qui empêchait les listéria de s’installer. Au contraire, sur un fromage pasteurisé, le terrain est vide et n’importe quel pathogène peut venir coloniser le milieu. En stérilisant tout, on finit par tomber malade.

(1) A retrouver à Rouen dimanche 15 octobre à 9h25 lors du débat «Ni cru ni cuit».