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Libération
Reportage

En Vendée, un potager qui tient chaume

A la Roche-sur-Yon, un lieu dédié à la biodiversité locale et au maraîchage se fond depuis 2010 dans le paysage vendéen entre bocage et zones humides.
En 2023, plusieurs bâtiments sont conçus par l'agence Guinée*Potin, dans l’esprit cabane de jardin, en ossature et charpente bois et une serre écologique en ossature bois paille et enduit terre crue.
publié le 9 mai 2025 à 6h07

Quelles solutions propose l’architecture pour s’adapter à l’imprévisibilité du monde, repenser l’existant et imaginer de nouvelles façons d’habiter l’espace ? Un dossier réalisé en partenariat avec l’Institut français à l’occasion de la Biennale d’architecture de Venise 2025 (du 10 mai au 23 novembre).

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Avec les années, les murs en chaume ont pris une couleur brun taupe, renforçant l’impression d’un animal qui sommeille, lové contre l’ancienne bâtisse du XIXe siècle. A la Roche-sur-Yon (Vendée), le Potager extraordinaire, pourtant situé à quelques pas d’une zone industrielle, est un délicat havre de paix. Un endroit dédié à la biodiversité et au maraîchage, autour d’un bâtiment conçu en chaume, la toiture mais également la façade, pour mieux se fondre dans le paysage naturel vendéen de bocage et de zones humides. Le site appartenait à Georges Durand, riche propriétaire terrien et naturaliste passionné qui léguera ses multiples biens au Muséum national d’histoire naturelle de Paris à sa mort en 1964. Le petit manoir et ses collections d’oiseaux et d’insectes en font partie, peu à peu délaissés car sans doute situés trop loin de l’institution parisienne. Il faudra attendre le procès du naufrage de l’Erika et la victoire de la région Pays-de-la-Loire, alors présidée par le maire socialiste de la Roche-sur-Yon Jacques Auxiette, pour voir de l’argent réinjecté sur le terrain, devenu propriété de la collectivité.

C’est en 2010 que Guinée*Potin Architectes remporte l’appel à projet pour rénover le lieu et transformer la friche et son manoir squatté en un espace dédié à la biodiversité locale, avec un objectif à la fois pédagogique, culturel et scientifique.

Fermes traditionnelles

Dans le jardin réveillé par le printemps et les chants d’oiseaux, Hervé Potin se souvient : «La friche était à son climax, avec beaucoup de végétation, des ronciers, des haies, un bouquet de chênes éclatés et une grande prairie. Nous ne voulions pas nous y opposer.» L’agence engagée dans la construction bas carbone imagine un bâtiment en ossature bois recouvert de chaume, juché sur des pilotis en troncs massifs afin d’avoir «un impact moindre sur la biodiversité».

La nouvelle construction embrasse l’ancienne et s’étire entre les bosquets, avec ses passerelles en bois et ses baies vitrées qui donnent sur la héronnière voisine. Son enveloppe de chaume s’inspire de l’architecture locale et traditionnelle – les bourrines vendéennes en voie de disparition, des petites fermes traditionnelles, trapues et modestes que l’on trouvait dans les marais. L’intérieur est chauffé avec des pellets. Une phytoépuration est installée, abandonnée depuis car sous-dimensionnée.

Couloir de courges

Le centre Beautour (son nom à l’époque) fera les frais de nouvelles passes d’armes entre institutions et collectivités. En 2013, lorsqu’il est inauguré, le site ambitionne de faire venir des scientifiques, des scolaires et le grand public. Quelque 50 000 visiteurs sont attendus. Il y en aura dix fois moins même si le site est régulièrement visité par les écoliers. Puis en 2018, la région Pays-de-la-Loire, passée à droite, coupe les subventions. L’agglomération n’a plus les moyens de soutenir entièrement le site et décide de le louer. C’est le groupe d’économie sociale et solidaire Estille, spécialisé dans l’insertion des personnes éloignées de l’emploi, qui en devient locataire et lui insuffle son second souffle. Le centre est doté d’une activité de maraîchage sous forme de chantier de réinsertion et d’un conservatoire de graines ; et le terrain est agrandi pour les besoins de la production passant de 7 à 10 hectares.

En 2023, plusieurs bâtiments sont conçus par Guinée*Potin : deux petits abris, dans l’esprit cabane de jardin, en ossature et charpente bois et une serre écologique en ossature bois paille et enduit terre crue. Le Potager extraordinaire, tel qu’il existe aujourd’hui, est né : du maraîchage en réinsertion et un parc touristique, où les visiteurs viennent admirer le couloir de courges logenaria et leurs formes étonnantes, tandis que les grandes pièces lumineuses du bâtiment central voient toujours passer des scolaires, ainsi que des colloques d’entreprises. Depuis, le potager a essaimé. Pour preuve, Guinée*Potin vient de terminer une école à Saint-Pabu, dans le Finistère, en couverture chaume.